Pire que les gens qui pensent que le monde va mal, il y a ceux qui précisent, « d’habitude, je suis quelqu’un d’optimiste, mais là… ». La phrase jette généralement un froid. Avoir autour de soi des indécrottables optimistes qui semblent soudain s’inquiéter, c’est un peu comme découvrir, lorsqu’un avion traverse une zone de turbulences, que l’hôtesse a peur. Ces « habituellement optimistes » ont été nombreux à avouer être passés du côté du verre à moitié vide ces dernières semaines. Même Steven Pinker, le chercheur canado-américain qui avait publié en 2018 un pavé de 638 pages, titré Le Triomphe des Lumières (Les Arènes), expliquant à grand renfort de graphiques et de rappels historiques que le monde ne s’était jamais mieux porté, a précisé, le 21 février, sur X, qu’il ne fallait pas avoir mal compris son livre : il ne voulait pas dire que les choses s’améliorent avec le temps, mais qu’elles s’améliorent si les valeurs de l’esprit des Lumières sont en œuvre. « Si ces valeurs sont érodées, la guerre pourrait revenir. »
A quoi on les reconnaît
Plutôt que d’avouer leurs soucis, ils ont d’abord préféré se dire « raisonnablement optimistes ». Il y a deux mois, ils disaient encore qu’il fallait rester concentré et ne pas se laisser distraire par les excès de Donald Trump. Puis ils ont commencé à basculer en l’entendant parler de la Russie, accuser l’Ukraine d’avoir déclenché la guerre et traiter Volodymyr Zelensky de dictateur. Ils se sont alors mis à suivre un peu moins assidûment l’actualité. Leur nouveau pessimisme inquiète leur entourage, habitué à les entendre rassurer tout le monde. Ils disent qu’il faut voir les choses sur le long terme et augmentent de plus en plus la focale pour pouvoir montrer une tendance positive. Même s’ils n’arrivent plus à voir le verre à moitié plein, ils assurent qu’ils n’aiment toujours pas les gens pessimistes : ça porte la poisse.
Comment ils parlent
« Ça inquiète beaucoup ma femme que je sois pessimiste. » « Mon seul espoir, c’est de me tromper dans mes analyses. » « Je suis optimiste sur l’homme mais pessimiste sur les rapports de force actuels. » « En temps normal, je peux faire un discours construit et logique, mais là je ne sais pas comment on va s’en sortir. » « Je me rattache beaucoup au colibri, qui fait ce qu’il peut. » « Si on prend la mortalité infantile, l’espérance de vie, les vaccins… ça va quand même dans le bon sens. L’espérance de vie n’était que de 32 ans au début du XXe siècle. » « C’est bon signe qu’on soit inquiet pour l’Allemagne, ça montre qu’on a des intérêts solidaires. » « Pour l’instant, sur l’Ukraine, il n’y a rien de définitif… » « Il reste quand même des contre-pouvoirs aux Etats-Unis. » « Le progrès a toujours sauvé les situations, mais là c’est la technologie qui nous plombe. » « Bon, en matière de nouvelles technologies, il y a toujours une période d’adaptation. » « Tous les problèmes ont l’air soit trop locaux soit trop globaux, on n’a plus la main. » « Même les blagues du Gorafi sur l’actualité ne me font plus rire. » « J’ai un peu de mal, là, c’est quand même très anxiogène. » « Je ne suis pas pessimiste pour autant, mais disons que je suis inquiet. »
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