Mélanie Boulanger n’est pas la complice d’un trafic de drogue, a tranché la 13e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis) en relaxant l’ancienne maire de Canteleu (Seine-Maritime), jeudi 4 juillet. Près de trois ans après son placement en garde à vue, en octobre 2021, « l’affaire Mélanie Boulanger » s’achève, définitivement dégonflée en quelques jours d’audience, même si le cas de l’élue, au dire du président Jean-Baptiste Acchiardi, a « longuement interrogé le tribunal ».

Il était reproché à cette femme socialiste de 47 ans d’avoir favorisé le lucratif trafic de stupéfiants aux mains, à Canteleu, des membres de la redoutable famille Meziani, en ne dénonçant pas leurs agissements aux autorités compétentes, en retardant la pose d’une caméra de vidéosurveillance sur un point de deal, ou en leur transmettant des informations relatives à des opérations policières, et ce par l’intermédiaire de son adjoint et amant Hasbi Colak, issu du même quartier que les Meziani, dont il était resté proche.

Un an de prison avec sursis avait été requis contre elle par la procureure Alice Dubernet, qui avait estimé que Mélanie Boulanger avait « basculé dans un engrenage » du fait de sa relation amoureuse avec son adjoint, au point de se retrouver « au cœur d’un pacte de non-agression avec les Meziani » qui n’avait « fait qu’accroître la pérennité du trafic de stupéfiants ».

Si le tribunal a estimé que la relation entretenue avec Hasbi Colak avait bien entraîné un « affaiblissement des garde-fous déontologiques » de l’ancienne maire, et « objectivement facilité [son] accès pour le groupe délinquant », qui a alors pu lui faire passer des messages directement par l’intermédiaire de Hasbi Colak, il n’existe en revanche aucun « acte positif » ayant pu favoriser le trafic et caractériser une complicité – rien ne prouve, par exemple, que la pose de la caméra de vidéosurveillance a bien été reportée, et encore moins à la demande des trafiquants.

Rien ne permet, affirme le tribunal, d’établir l’existence d’un pacte de « non-immixtion dans le trafic contre paix sociale ». La théorie d’un potentiel « double discours » de Mélanie Boulanger – réclamant pour obtenir plus de moyens contre le trafic, mais collaborant avec les Meziani – a fait long feu. Pour elle comme pour Hasbi Colak, il n’a été démontré aucun enrichissement, ni aucun gain politique.

« Cette affaire a été énormément fantasmée du côté de l’accusation, estime Arnaud de Saint-Rémy, avocat de Mélanie Boulanger. On a cru tenir une affaire hors norme et exemplaire : la maire d’une petite commune de province impliquée dans un trafic, alors qu’elle était irréprochable. La justice s’est emballée, mais elle s’honore en reconnaissant qu’elle a pu se fourvoyer. »

A l’audience, l’accusation a parfois semblé bien fragile, se basant ici sur une sonorisation manifestement mal retranscrite, là sur les souvenirs flous d’un commissaire de police imprécis. Loin d’établir une compromission avec des trafiquants locaux, l’audience a mis en lumière la difficulté pour les maires de petites et moyennes communes touchées par le narcotrafic – phénomène en progression, selon une récente commission d’enquête sénatoriale – de composer avec leurs administrés, puissants et potentiellement violents, qui contrôlent le marché de la drogue.

« J’ai tout perdu dans cette affaire, a réagi Mélanie Boulanger, très émue. J’ai perdu trente-trois mois de ma vie, j’ai perdu le goût de me donner à la chose publique par un mandat, mais j’ai retrouvé mon honneur, et justice a été rendue. » En février, éreintée par cette affaire, elle a fini par démissionner de son poste de maire. Hors de question de se relancer en politique. « Je continuerai à m’intéresser à la chose publique, mais plus jamais mon nom ne figurera sur un bulletin de vote. »

Pour avoir – sachant qu’il s’agissait de trafiquants, selon le tribunal – prêté sa voiture à un proche des Meziani, ou transmis à la municipalité la demande de logement d’un autre, Hasbi Colak a été condamné pour « complicité » à un an de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité. L’enfant des quartiers de Canteleu, parvenu à s’en extirper pour devenir patron de kebab puis adjoint au commerce, a fini par être rattrapé par ses anciennes amitiés et ses liens de quartier. « Peut-être que ça m’a dépassé, peut-être que j’ai fait des choses pour les Meziani que je n’aurais pas dû faire », avait-il admis à l’audience.

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Seize autres prévenus de ce procès, pour leur rôle plus ou moins important au sein du trafic lui-même, ont tous été déclarés coupables, et condamnés à des peines allant d’un an de prison à dix ans de prison et 2 millions d’euros d’amende pour l’un des chefs du clan, Aziz Meziani, parti trouver refuge au Maroc et jugé en son absence.

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