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Histoires Web dimanche, décembre 1
Bulletin

D’une oreille attentive, il écoute nos questions, puis l’interprétation de son traducteur, Dominique Nédellec. D’une main rapide, il forme des mots sur une feuille ­ – « Bible », « Biologie », « Boucherie » –, les entoure, puis trace des lignes, pour relier les termes entre eux, ou à d’obscurs symboles. Quittant notre rendez-vous avec Gonçalo M. Tavares, dans les bureaux parisiens de son éditrice, Viviane Hamy, on regrette de ne pas avoir dérobé les schémas résumant notre ­conversation dans une sorte de langage scientifique. Mais ce sentiment se dissipe. Contrairement à l’écrivain portugais, fils d’une professeure de mathématiques et d’un ingénieur, nous n’avons pas la bosse des maths. Mieux vaut s’en tenir à ses propos et à ses livres, dont le pouvoir d’évocation et la profonde clarté s’apparentent aux fables traversant les siècles.

Depuis une vingtaine d’années, le professeur d’épistémologie à l’université de Lisbonne construit une œuvre prolifique et protéiforme. Elle est bâtie autour de deux cycles : Le Royaume, une exploration du mal au XXe siècle, commencée par Un homme : Klaus Klump et La ­Ma­chine de Joseph Walser (2003 et 2004 ; éd. Viviane Hamy, 2014), et Le Quartier, ouvert avec Monsieur Valéry et la logique (2002 ; rééd. Viviane Hamy, 2008), bientôt rejoint par une dizaine d’habitants – dont Monsieur Brecht et Monsieur Calvino (2004 et 2005 ; éd. Viviane Hamy, 2009 et 2010). Lassé de constater, du café animé de Lisbonne où il travaille, combien « tout le monde pense de la même manière, y compris dans les villes démo­cratiques où existe la liberté de penser », Tavares a voulu créer une cité imaginaire peuplée de « vrais individus ». En 2021, ils sont réunis dans une somme de 800 pages (Le Quartier, éd. Viviane Hamy).

« Par sauts et hasards »

Autour de ces deux cycles romanesques gravitent des contes, de la poésie, du théâtre et des publications que l’ancien étudiant en physique, sport et art n’associe à aucun genre littéraire. « Ce qui m’intéresse, et Roland Barthes en parlait beaucoup, est l’idée d’écrire comme verbe intransitif, avoue-t-il. A la question “Tu écris quoi ?”, la réponse est une diminution du langage. » Souvent il s’attelle en même temps à un livre plutôt scientifique, à un ouvrage d’art ou à un recueil de nouvelles. « En ce moment, je donne un cours : “Corps, culture et pensée contemporaine”, j’avance par sauts et hasards, confie-t-il. Mon rapport à l’épistémologie est pervers, car j’aime beaucoup la contradiction, l’ambiguïté. Là réside la force de la pensée. »

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