Pour entrer une dernière fois au tribunal d’Avignon après quatre mois de procès et avant 51 condamnations, Gisèle Pelicot a décidé de porter un foulard. L’histoire de ce carré de soie a été observée à la loupe, comme quand on veut voir l’océan dans une goutte d’eau. Il représente des lacs guérisseurs dessinés par une artiste du bush aborigène. Il a été choisi par des femmes de Sydney qui se sont cotisées pour pouvoir l’acheter. On en connaît même le prix, 140 euros. Elles l’ont envoyé de l’autre côté du monde pour que Gisèle Pelicot se sente réchauffée par l’amour des millions de femmes qui se reconnaissent en elle.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « Les féministes qui jugent “trop légères” les peines sont-elles plus enclines à la répression que leurs prédécesseures ? »

Au fil des jours, Gisèle Pelicot est devenue une figure globalisée de la résistance à la violence masculine. Elle a réussi un triple exploit inédit : faire de la victime le centre du récit, sortir de l’impasse du fait divers pour montrer le fait de société, lancer un mouvement de sororité massif et mondial.

Pourtant, entre féministes, on s’est inquiétées de l’héroïne qu’elle a incarnée dès qu’elle a refusé le huis clos. On sait bien que le récit héroïque de la victime parfaite est le revers délétère de la médaille du monstre. Les deux, l’héroïne et le monstre, cachent la banalité du viol derrière des images aussi légendaires qu’étrangères à nous-même. L’opposition introuvable, celle du violeur fou et de la bonne victime, est un dérivatif commode pour effacer les violences sexuelles du paysage.

Violence secondaire du procès

La bonne victime, c’est celle que nous ne sommes jamais. Comment allions-nous faire, nous qui sommes sans vidéos, sans ADN, parfois sans force, sans le bon poids, la bonne santé, la bonne couleur de peau ou la bonne catégorie sociale ?

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Procès des viols de Mazan : comment les juges ont motivé leur décision de condamnation

On s’est dit qu’on allait en prendre plein la gueule, toutes imparfaites que nous sommes. Que la justice et la société nous condamnent d’avance. Nous avons frémi à la « maltraitance de prétoire » dénoncée par ses avocats. Nous avons mesuré à quel point la violence secondaire était naturalisée par la justice. Comme si les magistrats estimaient que laisser la défense humilier les victimes est une étape utile et sans conséquences dans le chemin de la manifestation de la vérité. J’ai pensé aux horreurs qu’on allait encaisser si nous arrivions à un procès contre Patrick Poivre d’Arvor. « Si je l’ai fait, vous pouvez le faire aussi », nous a répondu Gisèle Pelicot comme si elle entendait nos craintes. Mais nos craintes valaient moins que l’aide immense qu’elle nous a offerte.

Il vous reste 44.07% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Share.
Exit mobile version