Journée maussade à Berkeley, le printemps est comme suspendu. Sur le campus californien, en cette mi-avril, les magnolias sont recroquevillés, les cerisiers du Japon perlés de gouttes. Deborah Blocker a donné rendez-vous au café du Free Speech, mais il est fermé pour travaux, remplacé par une tente installée devant la bibliothèque.
La liberté d’expression fait grise mine, elle aussi. Soixante ans après les manifestations qui ont fait de Berkeley le phare de la contestation étudiante, le campus est pétrifié. Saisi d’un froid « arctique », selon l’expression du professeur de droit Christopher Kutz. « Les gens ont peur de parler ou de manifester, même pour des choses aussi élémentaires que l’Etat de droit, décrit-il. L’administration Trump prétendait agir au nom de la liberté d’expression. Elle l’a écrasée. »
Deborah Blocker est professeure de français et italianiste, spécialiste de l’esthétique dans la Florence des Médicis. Le 27 mars, elle a reçu un e-mail du vice-président chargé des affaires juridiques de l’université de Californie. Il l’informait que l’institution, saisie par la commission fédérale d’enquête sur l’antisémitisme, avait été obligée de communiquer le nom, la fonction, la date de recrutement, le numéro de téléphone et l’adresse électronique personnels des professeurs qui avaient signé une pétition sur le conflit à Gaza.
Témoin à charge
L’enseignante n’a « rien compris ». Elle a cru qu’on l’accusait d’antisémitisme, elle, la petite-fille de Louis Casimir Blanc, polytechnicien juif et résistant, et de William Blocker, un pharmacien sioniste de Brooklyn. Une collègue a dû lui expliquer ce qu’il en était. La commission gouvernementale cherchait en fait à l’entendre comme témoin à charge dans le procès en antisémitisme ouvert contre Berkeley et dix autres universités.
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