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Histoires Web samedi, novembre 23
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Au Tigré, province éthiopienne en lutte contre le pouvoir central, les femmes violées pendant la guerre (2020-2022) subissent une double peine. Après s’être vu dérober leur dignité, elles sont ostracisées par une société traditionaliste régie par les mœurs de l’Eglise orthodoxe, au sein de laquelle leur calvaire et leurs souffrances sont tabous. C’est sur le sort de ces femmes que se penche le documentaire Tigré : viols, l’arme silencieuse, de Marianne Getti et Agnès Nabat, diffusé samedi 23 novembre à 18 h 35 sur Arte et dès vendredi sur le site de la chaîne.

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Entre 2020 et 2022, dans l’opacité de la guerre, loin des caméras de télévision, une tragédie s’est jouée à huis clos : un conflit fratricide (au moins 600 000 morts, selon l’Union africaine) et la mise au supplice de centaines de milliers de femmes par l’occupant, les troupes éthiopiennes et l’ennemi historique venu de l’Erythrée voisine. Deux ans plus tard, le voile se lève difficilement sur les crimes qu’ont subis ces victimes invisibles. Au moins 120 000 femmes auraient été violées pendant la guerre, estiment les autorités régionales tigréennes.

Comment reconstruire ces destins brisés, ces vies et ces corps en lambeaux, deux, trois, quatre années plus tard ? Comment réintégrer ces femmes remplies de honte et mises au ban de la société ? Les réalisatrices nous embarquent dans le sillon de deux êtres hors du commun : Meseret Hadush, une ancienne pianiste et gloire de téléréalité locale, et Mulu Mesfin, une infirmière de l’hôpital public.

Chemin de croix

Toutes deux s’inscrivent dans la droite ligne du docteur Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), Prix Nobel de la paix en 2018. Leur mission commune : empêcher l’ennemi de remporter une victoire qui, en plus d’avoir martyrisé leurs corps, détruit la place de ces femmes dans la société.

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« Nous sommes baignées de honte, nos maris nous haïssent, les politiciens nous rejettent ! », s’époumone une victime. « Nous nous sentions trop sales pour embrasser la croix », confie une autre qui, s’estimant impure, n’ose plus s’aventurer dans une église, socle de la civilisation orthodoxe éthiopienne. Sans parler des enfants illégitimes, produits du viol, refoulés par la communauté. Une mère qui n’a pas pu avorter regarde son fils jouer dans un camp de déplacés : « Maintenant c’est mon fils, qu’y puis-je ? Je me demande quel avenir il aura. Le mien ne m’importe déjà plus… »

Pour ces femmes, le chemin de croix se poursuit. Jusqu’à quand ? Seules, exclues de leurs foyers, cachées par une société qui refuse d’admettre leur calvaire, délaissées par des autorités locales prêtes à sacrifier ce passé douloureux sur l’autel de la transition politique. Enfin, elles sont confrontées au déni de leur nation, l’Ethiopie, et de son leader, l’ancien Prix Nobel de la paix Abiy Ahmed, dont le long travail de déshumanisation des Tigréens (6 % de la population) a servi de terreau fertile à ces viols de masse.

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