
S’il fallait, à l’issue d’un processus tout à fait expéditif et antidémocratique, élire la pire tendance mode parmi toutes celles encombrant notre champ de vision, notre choix se porterait sur celle ayant propulsé d’énormes gourdes en forme de mug ou de gobelet géants au bras de citadines du monde entier.
Malgré la concurrence récente des monstrueux Labubu ou des charms lestant pléthore de sacs à main ou de téléphones portables, cette tendance-là reste indépassable de bêtise. L’attrait délirant pour ces objets surdimensionnés nés aux Etats-Unis repose en effet sur une double promesse.
La première est quasiment médicale : une hydratation régulière et abondante contribuant à un état de santé et de forme général. La seconde relève, elle, du bien-être collectif. En attendant que les grandes puissances mondiales se mettent enfin d’accord pour baisser leurs émissions de CO2, le choix de boire dans un contenant réutilisable plutôt qu’à la bouteille en plastique serait en effet notre meilleure chance d’enrayer le réchauffement climatique et sauver notre peau.
Sombre alibi consumériste
Evidemment, tout cela serait trop beau. Notons d’abord qu’une partie des adeptes de ces accessoires, réunis sur TikTok sous le hashtag #WaterTok, se plaît à dévoyer le principe même de l’hydratation en aromatisant leur eau de sirops, poudres d’aspartame et autres réjouissances chimiques au parfum de Skittles, d’Oreo ou de diabète.
Notons surtout que l’argument écologique n’est ici qu’un sombre alibi consumériste propulsé, d’un côté, par des marques qui incitent à accumuler toujours plus de ces gourdes, dans une folle variété de couleurs et de déclinaisons ; de l’autre par des clients ravis de pouvoir vernir leur frénésie d’achat d’une couche de bonne conscience à peu de frais (quoique : un modèle de ce type-là coûte au bas mot 50 euros).
De la même façon que collectionner les tote bag, multiplier les achats de seconde main sur Vinted ou aller à une conférence écologique en jet privé ne contribuera jamais à sauver la planète, se trimbaler mug géant à la main pour aller au bureau, à l’école ou à son cours de Pilates ne sera jamais autre chose, en matière d’environnement, qu’une pure tartufferie empreinte de mauvais goût. De fait, au terme d’années d’observation sur le terrain, nous sommes en mesure de l’affirmer : quand une tendance est bête, elle est rarement belle.
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