Dès le début de l’agression russe [le 24 février 2022], les riches collections d’arts byzantin, islamique, asiatique et européen du Musée national des arts Bohdan-et-Varvara-Khanenko, à Kiev, haut lieu du collectionnisme privé européen autour de 1900, avaient été mises en sécurité − envoyées pour certaines au Louvre, à Vilnius, à Varsovie et à La Haye. Frappé le 10 octobre 2022 par l’onde de choc d’un missile (fenêtres et vitrines soufflées, verrière effondrée), le musée est resté une institution vide mais active : performances, poésie, conférences pour adultes et enfants, ateliers de soutien psychique menés avec l’hôpital voisin. Certains éclats de la verrière ont été sertis en broches par un orfèvre de Kiev, une économie symbolique de l’endurance.

Trois ans jour pour jour après l’attaque, le Khanenko a inauguré, le 9 octobre, Africa : Direct, une exposition qui occupe tout le musée et rassemble une quarantaine d’œuvres provenant de 18 pays africains, réunies sur deux décennies par Tetiana Deshko et Andriy Klepikov, engagés de longue date dans la santé publique en Afrique. Le parcours associe objets historiques et œuvres contemporaines (Adelaide Damoah, Christian Nyampeta, Seyni Awa Camara, Esther Mahlangu) et se présente explicitement comme un exercice de reconfiguration intellectuelle : apprendre à regarder le continent africain sans médiations héritées (soviétiques ou occidentales), à interroger les récits dominants et impériaux, à repenser les conditions de la production du savoir au sein des musées.

Cette inflexion n’est pas surgie de nulle part. Je me souviens précisément de février 2022, à Cotonou, pour l’ouverture de l’exposition des œuvres restituées par la France au Bénin. Au milieu des festivités, tout le monde suivait la diplomatie de la dernière chance autour de l’Ukraine. Parmi les artistes, Dimitri Fagbohoun, né d’un père béninois et d’une mère ukrainienne, m’expliquait un entrelacs d’histoires que j’ignorais : présences ukrainiennes en Afrique de l’Ouest avant les années 1990 ; 1991 comme année charnière commune au Bénin (sortie du socialisme) et à l’Europe orientale (après l’effondrement de l’URSS). Deux trajectoires d’émancipation post-impériale qui se reflètent et, surtout, se vivent dans des biographies concrètes.

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