Hawa Kamara, soigneuse, prend soin depuis un an d’Esther et de Rio, deux bébés chimpanzés de Tacugama.

Hawa Kamara prend soin depuis un an d’Esther et de Rio, arrivés au sanctuaire pour chimpanzés orphelins de Tacugama à l’âge de seulement 3 mois. Calés sur ses hanches, les orphelins s’agrippent à son cou dans des gestes infiniment doux, guettant avec des yeux écarquillés les cris aigus d’autres primates du site.

A Tacugama, la touffeur, la densité végétale, le crissement métallique des insectes de la précieuse forêt tropicale humide sont saisissants, dans ce pays à la biodiversité spectaculaire abritant plusieurs espèces protégées. Situé à une quinzaine de kilomètres de la capitale Freetown, au sein du Parc national de la péninsule de la région ouest (WAP-NP), le sanctuaire accueille des chimpanzés de moins de 5 ans, dont la famille a été tuée et auxquels il faut apprendre à survivre.

Infliger un électrochoc

Ils y arrivent mal nourris, handicapés ou blessés par balle ou à la machette, traumatisés, souvent après avoir été vendus par les braconniers et gardés comme animaux domestiques dans des villages… Le chimpanzé d’Afrique de l’Ouest est considéré comme une espèce « en danger critique d’extinction » par l’Union internationale pour la conservation de la nature, menacée notamment par la disparition de son habitat et le braconnage pour sa viande.

Les orphelins de Tacugama passent par des parcs de réhabilitation, puis vivent dans les dizaines d’hectares sauvages protégés du sanctuaire, qui abrite actuellement 122 primates. « Depuis deux à trois ans, nous constatons une augmentation du nombre des chimpanzés sauvés car il y a beaucoup de dégradations au sein du parc où vit la population sauvage » de ces primates, explique Bala Amarasekaran, un infatigable défenseur des chimpanzés et fondateur du sanctuaire en 1995.

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« Nous avons récemment fait face à beaucoup de déforestation et d’empiètement illégal sur les terres du parc », notamment des constructions de maisons. Des pièges sont aussi régulièrement découverts près du sanctuaire. La menace est telle que les responsables de ce projet emblématique ont lancé un cri d’alarme : depuis le 26 mai, le sanctuaire est fermé aux visiteurs, pour tenter d’infliger un électrochoc au gouvernement.

« Il ne restera plus rien »

Depuis 2000, la Sierra Leone a perdu 39 % de sa couverture forestière, selon l’observatoire de référence Global Forest Watch. Sur les 18 000 hectares de forêts du WAP-NP, presque un tiers ont été perdus ou gravement dégradés depuis 2012.

A six kilomètres au sud du sanctuaire, les activités illégales et le grignotage au sein du parc menacent aussi l’avenir d’un barrage vital pour les deux millions d’habitants de Freetown — une ville surpeuplée — et ses alentours, d’où ils tirent leur seul approvisionnement en eau. Après un trajet en pick-up sur une piste à fort dénivelé, l’immense barrage de Guma apparaît, entouré d’une forêt primaire vert étincelant.

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Mais en contrebas, on peut voir à l’œil nu la vallée grignotée par l’urbanisation. La sécurité sanitaire du barrage est menacée, la déforestation favorisant l’envasement et la sédimentation dans le réservoir, alimenté pendant la longue saison des pluies.

« Ce quartier n’existait pas il y a encore trois ans », déplore Maada Kpenge, directeur exécutif de la compagnie générale des eaux de la vallée de Guma. « Chaque année, il y a de nouvelles maisons, dont les propriétaires affirment qu’ils possèdent la terre légalement… Chaque année, nous perdons des milliers d’hectares de forêts ; à ce rythme-là, dans dix ou quinze ans, il ne restera presque rien. »

Pratiques opaques et corrompues

La forêt participe activement au cycle de l’eau grâce à l’évapotranspiration et permet aussi de capter et de retenir l’eau. Si rien n’est fait et si le niveau du barrage baisse drastiquement, « il sera quasiment impossible de vivre à Freetown… », prévient-il.

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Le gouvernement déplore des pratiques opaques et corrompues d’attribution des terres par de précédentes autorités et met en avant les nouvelles lois plus sévères votées concernant la propriété de la terre. Mais activistes et experts estiment qu’elles ne sont pas assez appliquées sur le terrain.

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« Dans ce parc, il y a de la production illégale de marijuana, de charbon de bois, de l’exploitation forestière et des gens qui construisent des maisons et s’accaparent les terrains… », énumère Alpha Mara, le commandant des gardes forestiers au sein de l’Autorité nationale des aires protégées (NPAA).

Ne disposant ni d’armes ni d’équipements pour se défendre face à des trafiquants ou des occupants illégaux, ils abattent à mains nues des murs de maisons ou des piliers délimitant des terrains gagnés sur le parc.

Défaillances des institutions

En raison de cette déforestation, les températures déjà régulièrement extrêmes pourraient devenir insupportables pour la majorité des habitants de Freetown et de cette région, soulignent les experts.

L’érosion des sols est aussi accentuée pendant la saison des pluies en Sierra Leone, le pays ayant connu le glissement de terrain le plus meurtrier en Afrique : une coulée de boue sur les hauteurs de Freetown qui a entraîné la mort de 1 141 personnes en 2017.

Dans le sanctuaire de Tacugama, Bala Amarasekaran ne décolère pas contre les défaillances des institutions. « Si quelqu’un enfreint les lois sur la faune sauvage, il devrait y avoir des amendes, des poursuites, ce n’est pas le cas. »

« Tacugama est la destination d’écotourisme numéro un du pays : vous ne pouvez pas vous targuer d’avoir un sanctuaire de classe mondiale et être incapable en tant que gouvernement de le protéger », dit-il. « Ce problème d’empiètement sur les terres du parc doit être réglé pour que Tacugama puisse continuer d’exister… ».

Le Monde avec AFP

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