Après neuf mois de protestations et de manifestations pratiquement ininterrompues, le pouvoir serbe ne parvient toujours pas à arrêter le mouvement étudiant anticorruption qui secoue ce pays des Balkans depuis l’effondrement, en novembre 2024, de l’auvent de la gare fraîchement rénovée de Novi Sad, deuxième ville du pays. Ce drame, qui a causé la mort de 16 personnes, est largement vu en Serbie comme une cause de la corruption endémique qui sévit dans ce pays de 6,6 millions d’habitants.

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Au pouvoir depuis 2014, successivement comme premier ministre puis président, Aleksandar Vucic n’a jamais pris sérieusement en considération les revendications des étudiants, qui appellent à l’instauration d’un système judiciaire et d’un Etat de droit fonctionnels. Il ne souhaite pas non plus satisfaire leur demande d’élections législatives anticipées. Après avoir dénigré pendant des mois des manifestations parfaitement pacifiques, il a fini par se lancer, mardi 12 août, dans une inquiétante stratégie de la peur en faisant déployer dans les rues du pays des gros bras et des hooligans réputés proches de la puissante criminalité organisée serbe, qui se livrent à des provocations à l’égard des manifestants.

Devant le siège du Parti radical serbe, partenaire de coalition du Parti progressiste serbe au pouvoir, lors des manifestations, à Belgrade, le 16 août 2025.

Depuis mardi, et samedi encore, les affrontements entre partisans du pouvoir et manifestants se sont multipliés dans plusieurs villes serbes transformées en champs de bataille nocturnes, des hommes masqués à l’origine difficilement déterminable saccageant notamment les locaux du parti au pouvoir. La police multiplie les arrestations brutales, dont les vidéos sont reprises sur les réseaux sociaux, avec visiblement pour but d’intimider l’opinion publique, tandis que le pouvoir accuse les opposants de vouloir « détruire la Serbie » et plonger le pays dans la « guerre civile ». Cette stratégie n’est pas sans rappeler l’intervention des titouchkis à Kiev pendant la révolution de Maïdan, en 2013-2014, lorsque le parti alors au pouvoir utilisa des groupes de hooligans et de policiers en civil pour semer la violence dans les rassemblements pacifiques.

Passivité des capitales européennes

Attisant lui-même le chaos qu’il dénonce, M. Vucic espère visiblement que cette violence pourra discréditer les étudiant serbes, notamment aux yeux de l’Union européenne (UE) et de ses dirigeants. Pour mobiliser le fort courant prorusse qui traverse son pays, il accuse régulièrement, et sans apporter de preuves, des « services étrangers » d’être en train « d’organiser une révolution de couleur ». Mais le président serbe a en réalité toujours compté, jusqu’ici, sur la passivité de Bruxelles et des capitales européennes, réticentes à critiquer ses méthodes.

Le président Emmanuel Macron, qui a vendu 12 avions de chasse Rafale en 2024 à la Serbie en saluant le « changement stratégique » de ce pays jusqu’ici surtout armé par la Russie, s’abstient de toute critique. L’Allemagne, qui compte sur M. Vucic pour ouvrir en Serbie une mine de lithium, cruciale pour son industrie automobile mais très controversée localement, est tout aussi discrète. A Bruxelles, la Commission européenne n’est guère plus offensive.

Le mouvement de contestation n’est pas non plus exempt d’ambiguïtés et compte dans les cortèges de nombreux slogans nationalistes et prorusses. Cela ne doit pas empêcher l’UE d’affronter l’évidence : poursuivre des négociations d’adhésion avec la Serbie sous la férule d’Aleksandar Vucic est un non-sens. Cela ne fait que renforcer la conviction des opposants serbes, qui pensent que l’Europe soutient leur autocrate.

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Le Monde

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