La ville haïtienne de Mirebalais n’est plus que l’ombre d’elle-même. Dans la nuit du 30 au 31 mars, deux gangs redoutés du pays – les « talibans » et les « 400 Mawozo »ont lancé une attaque inédite. En quelques heures, ils ont pris cette cité de 100 000 habitants, située à 60 kilomètres au nord de Port-au-Prince. Plus de 80 morts, un commissariat incendié, une prison éventrée et 529 détenus échappés dans la nature. Sur les blindés abandonnés par la police en déroute, les assaillants ont inscrit leurs noms en lettres rouge sang. La radio locale, rebaptisée « Taliban FM », diffuse désormais la voix de Jeff Larose, alias Jeff Gwo Lwa, chef autoproclamé des « talibans de Canaan ». Sur la fréquence 97.5 FM, il clame la victoire, rappe sa domination : « Mirebalais nous appartient (…). On va marcher sur des cadavres. Manger de la viande de vos chèvres et tirer sans arrêt. » La terreur s’invite sur les ondes.

Avant que la ville ne sombre dans l’enfer des gangs, la radio s’appelait Panic FM. Depuis un studio discret, niché au premier étage d’un bâtiment en parpaing, elle s’était fait connaître grâce à « Tanbou Vérité », une émission politique sans concession. Le journaliste vedette, Néhémie Joseph, y dénonçait la corruption endémique du pouvoir, celle qui nourrit la prolifération des gangs et asphyxie la population haïtienne. Le 10 octobre 2019, il a été assassiné. Dans ce naufrage collectif, un nom revient en boucle : Rony Célestin. Cet ancien sénateur et homme d’affaires a été placé sous sanctions par les Etats-Unis et le Canada, en 2022, pour sa possible implication dans le trafic de drogue et ses liens avec les gangs. Il est aussi mis en examen pour le meurtre de Néhémie Joseph par la justice haïtienne. N’ayant pas encore été jugé pour ces faits, il reste donc présumé innocent.

Début mars, Forbidden Stories s’est rendu en Haïti pour enquêter, en partenariat avec le média haïtien AyiboPost, sur cette figure incarnant les dérives dénoncées par Néhémie Joseph. Avec sept meurtres de journalistes non résolus depuis 2019, dont celui de Néhémie Joseph, Haïti est devenu « le pire pays au monde en matière d’impunité », selon le Comité pour la protection des journalistes.

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