La victoire de Javier Milei, en décembre 2023, est souvent comprise comme l’effondrement du péronisme, un mouvement politique central en Argentine depuis l’accès de Juan Peron au ministère du travail, en 1943, et ses périodes postérieures au pouvoir jusqu’à sa mort, en 1974. Ce mouvement repose sur trois piliers : justice sociale, indépendance économique et souveraineté politique, respectivement liées au développement d’un Etat-providence, à l’industrialisation et à la nationalisation de secteurs-clés de l’économie, enfin à une certaine distance vis-à-vis des Etats-Unis. Parfois conçu comme politiquement « à gauche », il s’appuie sur un Etat interventionniste et une forme d’autoritarisme variable selon les époques, un attachement à la famille chrétienne traditionnelle chez Peron pouvant aussi le classer « à droite ».
Le péronisme, pris pour cible par Javier Milei dans sa campagne, qui insistait alors surtout sur le poids excessif de l’Etat, n’est plus, depuis longtemps, qu’un label vide de contenu précis. Il a pu recouvrir tant le libéralisme du « péroniste de droite » Carlos Menem (avec son large programme de privatisations des années 1990 et l’indexation du peso sur le dollar par le biais d’une caisse d’émission menant à la crise de 2000-2002) que les politiques « progressistes » du couple Kirchner. Ceux-ci, Nestor (président de 2003 à 2007) puis Cristina (présidente de 2007 à 2015), encore vice-présidente d’Alberto Fernandez entre 2019 et 2023, ne respectèrent d’ailleurs pas forcément tous les fondements du péronisme : les matières premières prirent ainsi une place croissante dans l’économie au détriment de l’industrie.
C’est pourquoi l’antipéronisme de Milei, lié à un contenu si vague, n’est pas la clé de son succès. Son opposition à l’ensemble des élites explique mieux son accueil par les couches populaires du pays et par sa jeunesse : près de 70 % des moins de 24 ans ont voté pour le candidat libertarien. Ces catégories, habituellement favorables aux valeurs progressistes du péronisme, subissent en effet depuis presque quinze ans les effets d’une violente crise économique, responsable d’une pauvreté atteignant 40 % de la population en 2023 (60 % pour les moins de 24 ans) et d’une inflation de 211 % cette même année.
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