De Gisèle Freund (1908-2000), on connaît surtout ses portraits d’écrivains. La photographe française d’origine allemande, pionnière de la couleur, avait cherché à marcher dans les pas du grand Nadar en créant, dans les années 1930, son propre « panthéon » : une galerie de figures de la littérature française, immortalisées sous forme de diapositives qu’elle projetait au public dans la librairie de son amie Adrienne Monnier, la mythique Maison des amis des livres, rue de l’Odéon, à Paris. C’est sans doute en pensant à ce projet que le président François Mitterrand, féru de littérature, avait choisi Gisèle Freund pour réaliser son portrait officiel.
Mais ces célèbres portraits ont renvoyé dans l’ombre le reste de son œuvre, ses reportages pour la presse et, surtout, ses écrits. Amie du philosophe allemand Walter Benjamin, Gisèle Freund est l’autrice de la première thèse sur la photographie, publiée en 1936 par Adrienne Monnier, et d’un texte théorique qui a fait date, Photographie et société (1974).
« Elle a été à la fois actrice et penseuse de la photographie, ce qui est exceptionnel », souligne l’historienne Lorraine Audric, commissaire avec Teri Wehn Damisch d’une exposition autour de Gisèle Freund, à Montpellier, intitulée « Une écriture du regard ». Celle-ci survole les travaux les plus connus et privilégie sa réflexion sur l’image, qu’elle donne à voir avec des tirages, mais aussi des planches-contacts, des publications, des lettres, des maquettes et toutes sortes de documents tirés de ses archives, conservées à l’Institut mémoire de l’édition contemporaine.
Regard révolté sur le monde
C’est d’abord comme militante d’extrême gauche que Gisèle Freund s’est servie de la photographie. Rejetant les valeurs de son milieu bourgeois, cette jeune Allemande s’inscrit en sociologie à l’université de Francfort et milite aux Jeunesses socialistes. Le petit Leica offert par son père lui sert à documenter les manifestations auxquelles elle-même participe alors que l’Allemagne est confrontée à la montée du nazisme. « La photographie est aussi une arme dans la lutte des classes », proclame une banderole qu’elle isole dans le défilé du 1er mai 1931.
Inquiétée pour ses idées, Gisèle Freund fuit l’Allemagne pour la France en 1933, non sans emporter, racontera-t-elle plus tard, des photos de ses camarades battus par les nazis qui illustreront le Livre brun sur l’incendie du Reichstag et la terreur hitlérienne, un ouvrage qui tente la même année de dénoncer les exactions du régime.
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