La célèbre stabilité allemande, sur laquelle Angela Merkel avait assis un règne de seize ans, appartient désormais au passé : la première économie du continent, actrice majeure de l’Union européenne, ne pouvait échapper au tourbillon qui secoue le monde. Les résultats des élections législatives du dimanche 23 février, qui permettent à Friedrich Merz, chef de l’alliance démocrate-chrétienne CDU/CSU, de tenter de former un gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates du SPD, sont marqués par trois changements d’importance.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Législatives en Allemagne : les conservateurs de la CDU/CSU remportent des élections marquées par le score historique de l’extrême droite

Le premier est l’affaiblissement des partis politiques traditionnels, un phénomène commun à toute l’Europe mais auquel l’Allemagne avait mieux résisté. Avec 28,6 % des suffrages, la CDU du futur chancelier Merz n’atteint pas les 30 % espérés. Désavoué, le SPD du chancelier sortant, Olaf Scholz, s’effondre avec un score de 16,4 %, en très net recul par rapport à son résultat de 25,7 % en 2021. (11,6 %), les libéraux du FDP disparaissent du Bundestag, n’ayant même pas atteint le seuil de 5 %. En revanche, le petit parti de gauche radicale Die Linke, dont les positions marquées contre l’extrême droite ont sans doute séduit les plus mobilisés sur cette question, enregistre un score inattendu de 8,8 %.

Car c’est bien l’ascension de l’extrême droite qui apporte la deuxième leçon de ce scrutin, avec le débat sur l’immigration en arrière-plan. Corollaire de l’affaissement des partis traditionnels et signe d’une polarisation croissante, le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), plus radical que la plupart des partis nationaux-populistes du reste de l’Europe, passe la barre des 20 % (20,8 %), double quasiment son score de 2021 et devient le deuxième parti allemand.

Lucidité

Ce n’est pas le raz-de-marée espéré par sa candidate à la chancellerie, Alice Weidel, mais sa progression dans l’est du pays, territoire de l’ancienne RDA communiste, est spectaculaire : dans l’ensemble des Länder de l’est de l’Allemagne, l’AfD se positionne comme le premier parti, avec plus de 30 % des voix. Signe plus positif, la participation record de l’électorat allemand – qui avoisine 84 % , un niveau jamais vu depuis la réunification – traduit son attachement au système démocratique.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Législatives en Allemagne : le parti d’extrême droite AfD obtient un résultat historique

Troisième secousse, enfin : le futur chancelier Merz s’est déclaré dimanche soir à la télévision prêt à construire l’« indépendance » de son pays à l’égard des Etats-Unis, ajoutant qu’il n’aurait jamais pensé qu’il pourrait prononcer une telle phrase de son vivant. La campagne électorale s’est déroulée à l’ombre d’un bouleversement fondamental dans la relation transatlantique, avec le retour au pouvoir du président américain Donald Trump, déterminé à tourner le dos à l’Europe et à son modèle démocratique et à se rapprocher de la Russie, qui livre une guerre dévastatrice à l’Ukraine.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Friedrich Merz, la revanche du rival d’Angela Merkel

Friedrich Merz a clairement tiré les leçons de ce séisme géopolitique. Dimanche soir, il a dénoncé l’ingérence sans précédent des Etats-Unis dans la campagne en soutien de l’AfD et souligné la nécessité de bâtir une défense européenne. Pour un dirigeant allemand, une telle démarche n’est pas aisée. Il faut saluer cette lucidité : que l’Allemagne, dans ce moment historique, s’engage avec clarté et détermination dans l’unité européenne est de première importance, en particulier pour la France. Souhaitons au chancelier Merz et à Boris Pistorius du SPD, tout aussi lucide et possible successeur d’Olaf Scholz, de former un gouvernement le plus tôt possible. Le temps presse.

Le Monde

Réutiliser ce contenu
Share.
Exit mobile version