Une marée humaine, une communion républicaine. C’était hier, et cela paraît déjà une éternité. Le 11 janvier 2015, la plus grande manifestation française depuis la Libération s’élançait dans tout le pays. Quatre jours après la tuerie islamiste du 7 janvier qui décima une partie de la rédaction de Charlie Hebdo, suivie de l’assassinat d’une policière à Montrouge le lendemain, et deux jours après l’attaque antisémite de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, plus de 4 millions de personnes défilaient derrière des affichettes « Je suis Charlie ».

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Comme dans un tableau de Delacroix animé, le peuple semblait converger vers les symboles de sa liberté. Liberté d’expression, avec l’image du crayon. Liberté de croire ou de ne pas croire, avec la défense de la laïcité. « Comme si les citoyens de tous horizons savaient instinctivement ce qui les rassemblait », analyse la sociologue Dominique Schnapper. De vieux anarchistes s’étonnaient, comme le chanta Renaud, d’avoir « embrassé un flic entre Nation et République ». Les cloches de Notre-Dame célébraient des libertaires voltairiens et la République rendait hommage aux bouffeurs de curés, d’imams et de flics.

L’impression d’unanimité était peut-être trompeuse. Des observateurs de la vie démocratique, comme l’historien Pierre Rosanvallon, ont rapidement fait remarquer que seule « la France impliquée » s’était mobilisée, alors que « la France marginalisée », notamment issue des quartiers paupérisés, était plutôt restée en retrait. Certains intellectuels comme Rony Brauman étaient partagés. « Je n’avais aucune réprobation pour cette manifestation, mais je n’ai pas pu défiler à côté de Sergueï Lavrov et de Benyamin Nétanyahou », se remémore l’ancien président de Médecins sans frontières (1982-1994). D’autres n’étaient pas « Charlie ». Sans doute est-ce le démographe Emmanuel Todd qui résuma le différend de la manière la plus lapidaire, assurant, dans Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse (Seuil, 2015), que « des millions de Français se sont précipités dans les rues pour définir comme besoin prioritaire de leur société le droit de cracher sur la religion des faibles ».

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