« On n’a plus de force à cause de la faim ». Plusieurs journalistes travaillant pour l’Agence France-Presse (AFP) dans la bande de Gaza racontent avoir de plus en plus de difficultés à couvrir la guerre en raison de conditions de vie extrêmes, marquées par de graves pénuries alimentaires, un manque d’eau potable et une fatigue physique et mentale croissante.

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Ces rédacteurs, photographes et vidéastes palestiniens sont les seuls à pouvoir couvrir le conflit en raison du blocus mis en place par l’armée israélienne, qui interdit l’accès à l’enclave aux journalistes internationaux depuis le déclenchement de la guerre, le 7 octobre 2023. Depuis le début de la guerre, plus de 200 journalistes ont été tués à Gaza, « dont au moins 46 dans l’exercice de leurs fonctions » a rappelé mardi Reporters sans frontières.

« Depuis des mois, nous assistons, impuissants, à la détérioration dramatique de leurs conditions de vie. Leur situation est aujourd’hui intenable, malgré un courage, un engagement professionnel et une résilience exemplaires », affirmait l’AFP, lundi, tandis que la société des journalistes de l’agence de presse française alertait du risque de les « voir mourir ».

L’ONU dénonce une « utilisation de la nourriture à des fins militaires » par Israël, parlant d’un crime de guerre dans un contexte de grave crise humanitaire, où la malnutrition explose et le danger de famine se rapproche. L’armée israélienne est soupçonnée de s’en prendre systématiquement aux journalistes dans le territoire palestinien, comme le suggère une enquête diffusée par Le Monde en juin 2024.

La France a réclamé, mardi, que la presse puisse « accéder à Gaza » pour montrer ce qu’il s’y passe. Une demande de longue date des sociétés de journalistes, dont celle du Monde.

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Evanouissements à cause du manque de nourriture et d’eau

Bashar Taleb, 35 ans, l’un des quatre photographes de l’AFP sélectionnés cette année pour le prix Pulitzer, vit dans les ruines de sa maison à Jabaliya Al-Nazla, dans le nord de l’enclave palestinienne. « J’ai dû interrompre mon travail plusieurs fois pour chercher de la nourriture pour ma famille, raconte-t-il. Pour la première fois, je me sens complètement abattu. »

Cette photographie réalisée par Bashar Taleb montre la morgue de l’hôpital Al-Shifa, à Gaza, après un bombardement israélien, le 23 juillet 2025.

Son collègue Omar Al-Qattaa, photographe également âgé de 35 ans et lui aussi candidat au Pulitzer, se dit épuisé : « Je dois porter du matériel lourd, marcher des kilomètres (…). On ne peut plus se rendre sur les lieux de reportage, on n’a plus de force à cause de la faim. » Il dépend d’antalgiques pour soulager des douleurs dorsales, mais affirme que les médicaments de base sont introuvables en pharmacie, tandis que le manque de vitamines et d’aliments nutritifs aggrave sa situation.

Khadr Al-Zanoun, 45 ans, habitant de la ville de Gaza, affirme avoir perdu 30 kilos depuis le début de la guerre. Le journaliste évoque des évanouissements à cause du manque de nourriture et d’eau, ainsi qu’une « fatigue extrême » et la difficulté à travailler : « Ma famille est aussi à bout. »

Le photojournaliste Eyad Baba, 47 ans, déplacé du sud de la bande de Gaza vers le centre à Deir Al-Balah, où l’armée israélienne a lancé une offensive terrestre cette semaine, a dû quitter un camp surpeuplé et insalubre pour louer un logement à un prix exorbitant, afin d’y abriter sa famille. « Je n’en peux plus de cette faim, elle touche mes enfants », confie-t-il.

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« Dans le cadre de notre travail, nous avons été confrontés à toutes les formes possibles de mort. La peur et la sensation d’une mort imminente nous accompagnent partout », poursuit ce dernier, soulignant qu’être journaliste à Gaza c’est travailler « sous la menace constante des armes ». « La douleur de la faim est plus forte que la peur des bombardements », ajoute-t-il.

Explosion des prix

La journaliste de l’AFP Ahlam Afana, 30 ans, souligne une autre difficulté : une épuisante « crise de liquidités », liée à des frais bancaires exorbitants et à une inflation galopante sur les rares denrées disponibles, et qui vient aggraver la situation.

Les retraits en liquide peuvent être taxés jusqu’à 45 %, explique Khadr Al-Zanoun, tandis que le prix des carburants explose – là où on en trouve, rendant tout déplacement en voiture impossible.

« Les prix sont exorbitants », déplore Ahlam Afana, détaillant : « Un kilo de farine se vend entre 100 et 150 shekels israéliens [25 à 38 euros], ce qui dépasse nos moyens, même pour en acheter un seul kilo par jour. » Quand « le riz coûte 100 shekels, le sucre dépasse les 300 [shekels], les pâtes [les] 80 [shekels], un litre d’huile entre 85 et 100 [shekels]. Les tomates se vendent entre 70 et 100 shekels. Même les fruits de saison – raisins, figues – atteignent 100 shekels le kilo. » « Nous ne pouvons pas nous le permettre. Je ne me souviens même plus de leur goût », témoigne-t-elle.

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La journaliste explique qu’elle travaille dans une tente délabrée, sous une chaleur étouffante : « Je bouge lentement. Ce n’est pas seulement les bombardements qui nous menacent, c’est la faim qui nous ronge. Je ne me contente plus de couvrir la catastrophe. Je la vis. »

Le vidéaste Youssef Hassouna, 48 ans, confie que la perte de collègues, d’amis et de membres de sa famille l’a éprouvé « de toutes les manières possibles ». Malgré un « profond vide intérieur », il dit continuer à exercer son métier. « Chaque image que je capture pourrait être la dernière trace d’une vie ensevelie sous les décombres », dit-il.

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Zouheir Abou Atileh, 60 ans, ancien collaborateur du bureau de l’AFP à Gaza, partage le vécu de ses confrères et parle d’une situation « catastrophique ». « Je préfère la mort à cette vie », affirme-t-il.

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