Dans le champ de la science, les mots ne sont jamais neutres. Leur emploi oriente la perception des résultats, influence les décisions publiques et, in fine, affecte les patients. Depuis plusieurs années, on observe une dérive sémantique dans la présentation de l’évaluation des médicaments et des technologies de santé. Ce glissement n’est pas sans conséquences, qu’elles soient sanitaires ou politiques.
Le terme « innovation » illustre parfaitement cette mutation. Classiquement, il renvoie à un progrès thérapeutique démontré, appuyé par les résultats d’essais cliniques robustes conduits sur des malades comparativement à la stratégie habituelle de prise en charge. Dans les discours contemporains, ce terme est de plus en plus fréquemment associé au seul concept de nouveauté ou à une attente de valorisation économique auprès des payeurs. Ainsi, les premiers résultats d’une étude exploratoire suggérant un potentiel effet du lithium sur un modèle animal sont immédiatement qualifiés d’« innovation » pour la maladie d’Alzheimer.
Or, l’écart est immense entre une observation préclinique issue d’un modèle animal et une preuve clinique probante obtenue d’un essai clinique conduit chez des patients. L’usage extensif du terme « innovation » transfère la valeur de la démonstration scientifique vers celle de la promesse, renforçant les attentes, tout en brouillant les repères, et appuyant les revendications financières des industriels. En focalisant le message sur une seule promesse, on omet de décrire les risques encourus par les malades à recevoir un traitement dont les effets bénéfiques, mais aussi indésirables, ont été peu ou mal évalués.
Le malade peut payer sur sa santé de façon lourde un pari non tenu, et la solidarité nationale en accuser les conséquences sur son budget. Aux Etats-Unis, la soutenabilité et la rationalité d’un tel système sont déjà remises en cause.
Extrapolations abusives
Un second exemple illustre également ce propos : l’engouement pour les données de vie réelle. Initialement, les données recueillies en dehors de toute intervention, qui étaient qualifiées d’observationnelles (et maintenant « de vie réelle »), devaient compléter les données des essais randomisés, en apportant un éclairage sur les effets des médicaments en pratique courante, et notamment sur leur sécurité. Leur promotion récente par les industriels tend à les présenter en substitution aux données des essais randomisés, c’est-à-dire comme apportant une preuve équivalente, voire supérieure, de leur efficacité, ce qui permettrait d’accélérer l’accès des patients au médicament.
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