C’est l’histoire d’une Japonaise de 85 ans, retrouvée morte dans son appartement à Tokyo. Cette octogénaire vit entourée de huit chats dans un logement envahi par le désordre et la saleté. Lorsqu’on retrouve ses restes, il ne subsiste plus que des fragments de son squelette : son crâne repose près du lit, tandis que ses os longs sont éparpillés dans le salon et le couloir.

Mariko Kazuta, Kana Unuma et leurs collègues du département de médecine légale de la faculté de médecine et dentaire de Tokyo rapportent cette macabre découverte dans un article publié le 27 août 2025 dans le Journal of Forensic Sciences.
Depuis un certain temps, les voisins s’étaient inquiétés d’une odeur persistante provenant d’un environnement insalubre et de la présence d’excréments de chats. Au moment du drame, toutes les portes et fenêtres sont verrouillées de l’intérieur, signe que nul n’était entré ou sorti.
La dernière fois qu’on a vu la vieille dame remonte à son hospitalisation, quelques mois plus tôt, pour un hématome sous-dural, caractérisé par une accumulation de sang entre le crâne et la membrane la plus externe (dure-mère) qui protège le cerveau.
Lorsque la police intervient, l’appartement est saturé de détritus et de déjections animales, et l’odeur d’ammoniac est forte. Les os de la défunte sont totalement désarticulés, éparpillés dans le salon et dans le couloir. Autour du corps, on trouve de nombreux insectes nécrophages : des asticots et des pupes morts. Les enquêteurs découvrent aussi plusieurs corps de chats, momifiés ou réduits à l’état de squelette, et constatent des griffures sur les murs.
Pour confirmer l’identité de la défunte, une analyse ADN des restes humains est réalisée, établissant qu’il s’agit bien de l’habitante de l’appartement. Lors de l’autopsie médico-légale, les médecins ne peuvent cependant pas déterminer la cause de la mort, le corps se trouvant dans un état de décomposition très avancé et la plupart des tissus mous ayant déjà été
consommés.
Niveau élevé de détresse chez les chats charognards
Les chats ont en effet dévoré leur propriétaire, allant jusqu’à s’en prendre à de nombreux os du squelette. Des études sur des chats errants charognards montrent que ces animaux mangent surtout la peau et les tissus mous, laissant les os intacts.
Mais ici, les chats, qui ont vraisemblablement souffert de famine extrême au moment du décès de la vieille dame, se sont attaqués aux os, notamment ceux de la face, la plupart des vertèbres et les extrémités des os longs. Résultat : la plupart des os du tronc ainsi que des bras et des jambes de la défunte ont disparu. Plus précisément, les extrémités supérieures et inférieures (épiphyses) des os longs des membres supérieurs et inférieurs (humérus, radius, cubitus, fémurs, tibias, péronés) ont été détruites.
Quant aux os restants, ils sont tous partiellement détruits. Ils portent des signes manifestes de traumatismes : certaines parties osseuses situées derrière les oreilles et au niveau des pommettes manquent, de même qu’une grande partie de la première vertèbre cervicale (atlas). Les deux extrémités de la clavicule droite et une partie de l’omoplate droite ont été grignotées. Les bords des autres os montrent des coupures et des rainures, typiques de morsures canines. Sur les extrémités des os longs, le périoste a été partiellement arraché. Les os du bassin sont partiellement préservés.
Tous ces indices démontrent que les chats ont eu un comportement nécrophage. La consommation d’éléments squelettiques suggère un niveau élevé de détresse chez ces chats charognards. Cette observation est corroborée par la découverte de restes momifiés de chats dans la même pièce, indiquant l’absence de toute autre source alimentaire.
La mort remonte à plusieurs mois, voire six mois, un laps de temps cohérent avec la dernière trace de vie de la vieille dame.
Au niveau du cou, seule l’excroissance verticale de la deuxième vertèbre cervicale, l’axis, subsiste. Cette partie, appelée apophyse odontoïde, permet de tourner la tête et s’articule avec la première vertèbre, l’atlas. Fait remarquable, les légistes observent que, malgré la dégradation, une partie de l’articulation entre l’axis et l’atlas est conservée. Cela suggère que les corps de ces deux vertèbres n’étaient pas assez durs pour résister à la force des mâchoires des chats, mais que l’odontoïde et d’autres éléments très compacts du squelette étaient trop résistants. Il apparaît que les chats ont tenté de ronger ces os, mais ont finalement abandonné et sont morts de faim.
Destruction étendue du squelette
Les légistes ont comparé la forme des perforations sur l’os du bassin de la défunte avec celles des canines d’un chat trouvé mort. Les traces laissées par les dents du félin correspondent aux perforations, confirmant que des chats ont exercé une activité de charognards.
Par ailleurs, l’analyse des os a révélé que les marques des dents se trouvent principalement sur les extrémités des os longs, tandis que le corps cylindrique de l’os est quasiment intact. Cet aspect diffère de ce qu’on observe lorsque des chiens s’attaquent au squelette d’un humain. Dans ce cas, les canidés peuvent broyer les os et atteindre la moelle osseuse. Enfin, sur les corps des os longs (diaphyses), aucune rainure ou strie n’est trouvée, probablement parce que la force de morsure des félins est inférieure à celle des canidés.
Il s’agit d’un cas rare de charognage post-mortem par des chats domestiques en milieu clos, ayant conduit à une destruction étendue du squelette. Selon les médecins légistes de l’université de Tokyo et leurs collègues anthropologues, il s’agit du premier cas documenté où des chats d’intérieur, poussés par la faim, se sont attaqués à de nombreux éléments osseux en plus des tissus mous. Les chats domestiques ne sont pas les seuls animaux à adopter un comportement de charognards dans des situations extrêmes. Les chiens ne sont pas en reste, si je puis dire !
Attaque sur la région génitale
Des anthropologues et légistes de l’université de Berne (Suisse) ont rapporté en 2024 dans la revue Forensic Science, Medicine and Pathology sept cas de charognage en intérieur par des chats et des chiens, dont deux retiennent particulièrement l’attention.
Premier cas : une femme de 60 ans est retrouvée morte sur le lit de son studio. Elle porte un pull à manches longues, mais aucun autre vêtement. Le corps se trouve au stade initial de décomposition. Les tissus mous ont disparu dans la partie inférieure du visage et sur l’avant du cou, emportant également les organes situés dans cette région. Une partie de l’os de la mâchoire inférieure est partiellement exposée. Dans la région génitale, notamment sur les cuisses internes et le mont du pubis, on observe des lésions cutanées. Un petit chien, de type pinscher nain, se trouve dans l’appartement et a manifestement eu accès au cadavre.
Le second cas concerne une femme de 58 ans retrouvée morte dans son appartement fermé à clé. Son corps gît sur le sol, vêtu d’un t-shirt, d’un pull, d’une culotte et d’un pantalon. Ce dernier a glissé jusqu’aux chevilles, et le sous-vêtement est descendu à mi-cuisse. L’examen du cadavre montre un début de décomposition active. Sur la base de l’état du corps et du dernier écrit consigné dans son journal intime, les légistes estiment l’intervalle post-mortem à plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avec un maximum probable d’un mois.
Leurs constatations sont particulièrement frappantes au niveau des régions génitale et anale. La peau de la partie inférieure de l’abdomen, des organes génitaux et de l’anus a totalement disparu, laissant apparaître la graisse sous-cutanée et certains organes internes. Un chien croisé border collie–rottweiler, qui avait libre accès au corps, se trouvait dans l’appartement au moment de la découverte.
En 2020, une étude menée par un médecin légiste de l’université d’Adélaïde (Australie) illustre combien la perte de tissus mous, d’os et d’organes peut être massive lorsque de nombreux animaux participent simultanément au charognage.
Le cas concerne un homme de 69 ans retrouvé gisant au sol dans une maison envahie de détritus où vivaient une trentaine de chats. Le corps présentait des lésions d’une ampleur considérable, dues à une prédation post-mortem. La cavité thoracique était vide : il ne restait rien du cœur ni des poumons.
Le cou présentait des lésions comparables : l’œsophage, la trachée, les bronches, le larynx et la thyroïde avaient disparu. L’abdomen montrait des viscères exposés. Le foie avait été presque entièrement dévoré. Le rein droit, l’estomac, le côlon transverse et le cæcum étaient également lésés.
Le visage avait été complètement mis à nu, avec la disparition des tissus mous du front, du cuir chevelu antérieur et de la face, ainsi que la perte de l’oreille droite et des deux yeux.
Destin tragique pour un vieil homme et sa meute de chiens
En 2023, des médecins légistes brésiliens ont rapporté un cas de charognage par des chiens sur un octogénaire décédé à son domicile. Cet homme vit reclus à Curitiba, dans l’État du Paraná. Les services de protection animale de la ville sont appelés dans des circonstances macabres : l’homme vient d’être retrouvé mort dans son domicile, et ses dix chiens ont survécu pendant une semaine en se nourrissant de son cadavre.
La maison offre un spectacle de négligence extrême : amas d’ordures, vêtements souillés, excréments de chiens et objets divers jonchent le sol de toutes les pièces.
Sous la maison, dix chiens se terrent, terrorisés, tandis que trois autres gisent déjà morts, dans un état de putréfaction avancée. Les chiens survivants sont incapables de tolérer le moindre contact humain. Ils se montrent apeurés et agressifs.
Le rapport des médecins légistes décrit une scène macabre. Le crâne de l’octogénaire reste intact, sans trace de traumatisme osseux, mais le visage est sévèrement altéré : les yeux, la langue et la quasi-totalité des tissus mous ont disparu. Les deux fémurs sont totalement absents : ils ont été totalement consommés.
Fait troublant, un humérus a été arraché et déplacé. Il est découvert dans une pièce différente de celle où gît le cadavre. Il ne reste presque plus rien du tube digestif de l’octogénaire, pas plus que de la plupart de la masse musculaire des bras et des jambes.
L’état de putréfaction avancée et l’ampleur de la consommation de tissus par les chiens empêchent toute autopsie et rendent impossible une détermination précise de la date de décès, estimée néanmoins à environ deux semaines avant la découverte du corps. La présence de vers sur les tissus mous recouvrant le crâne confirme ce délai.
Les trois chiens morts sont eux aussi dans un état de décomposition avancée. Quant aux dix chiens survivants, leur état soulève de graves inquiétudes en matière de santé publique : leur statut vaccinal contre la rage reste inconnu. Par mesure de précaution et conformément aux protocoles établis par l’Association vétérinaire brésilienne, les chiens sont sédatés, anesthésiés, puis euthanasiés. La menace qu’ils représentent pour la population, en particulier envers les enfants, les personnes âgées et les personnes vulnérables, du fait de leur agressivité et de la possible présence de la rage, est jugée trop importante.
Dans cette maison insalubre, la mort de l’octogénaire, dévoré par ses chiens qu’il ne sortait jamais et qui vivaient sans aucune activité extérieure, a scellé le destin de la meute, transformant ce foyer déjà chaotique en une véritable scène d’horreur.
Pour en savoir plus :
Kazuta M, Namiki S, Sakaue K, et al. Indoor cats scavenging behind closed doors. J Forensic Sci. 2025 Aug 27. doi : 10.1111/1556-4029.70172
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