Les régimes de terreur ont souvent le goût de l’argent. La Russie n’y échappe pas. Discrètement, elle laisse ainsi des civils quitter la partie de l’Ukraine qu’elle occupe, en prélevant sa part sur le prix de leur voyage vers la zone libre. Cette politique n’a rien d’humanitaire. Les Ukrainiens ne sortent de ces territoires qu’au compte-gouttes. Pour Moscou, c’est aussi une façon de se débarrasser des habitants les moins dociles et de « russifier » plus rapidement les régions conquises.

Petro Alexandrovitch n’a que 62 ans, mais il en paraît quinze de plus. Le corps lourd, le souffle court et les habits fatigués, il recommence tout à zéro. Arrivé à Kiev, le 8 octobre, en provenance de Louhansk, dans le Donbass, au terme d’un trajet de deux jours passant par la Biélorussie, il n’a ni retraite, ni parent, ni protection sociale, et vit dans un foyer cofinancé par l’ONU qui accueille des étudiants et des personnes démunies.

« Ici, je ne suis personne », lâche cet homme dont le quotidien était devenu impossible à Louhansk et qui dit n’avoir jamais caché ses sympathies pro-ukrainiennes dans une ville administrée par les séparatistes prorusses dès 2014 et occupée par les troupes de Moscou en février 2022. « Entre 2014 et 2022, les gens s’accommodaient de cette russification. Les choses ont changé à partir de 2022, la mainmise des Russes s’est aggravée et la pression sur ceux qui pensaient autrement s’est faite plus forte », raconte Petro Alexandrovitch, dont le visage s’éclaircit à mesure qu’il se raconte.

Vis-à-vis de la population, l’administration russe ne manie pas que le bâton. La voisine de palier de Petro Alexandrovitch, âgée de 88 ans, était farouchement pro-ukrainienne, depuis que son immeuble avait été touché par des obus russes. Puis, en 2023, elle s’est ravisée. « Les Russes ont augmenté les retraites, explique-t-il. Ma voisine a, d’un coup, reçu 350 dollars [323 euros] par mois, 250 de plus qu’auparavant, et à ses yeux, les Russes sont devenus de bonnes personnes. Ils achètent les gens. »

« J’ai été passé à tabac »

En 2022, la vie de Petro Alexandrovitch a mal tourné. De santé fragile, il est entré en conflit avec deux familles de l’immeuble, sur fond de construction d’un garage qui l’empêchait d’accéder au sien. « En juin 2022, j’ai été passé à tabac. La police m’a donné raison dans un premier temps, puis a laissé faire quand mes voisins ont dit que j’étais pro-ukrainien. Les familles ont déposé plainte contre moi, même ma nièce et mon neveu m’ont tourné le dos. »

Il vous reste 71.52% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Share.
Exit mobile version