Un peu plus d’un an après le mouvement de protestation des agriculteurs, la percée que vient d’enregistrer la Coordination rurale aux élections aux chambres d’agriculture est un coup de semonce à ne pas négliger : alimenté par la colère et la désespérance d’une partie du monde agricole, le dégagisme a le vent en poupe dans cette partie de la population comme dans beaucoup d’autres.

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Facilement identifiable par les bonnets jaunes portés par ses adhérents dans les manifestations, ce syndicat, né au début des années 1990 pour marquer son hostilité à la politique agricole commune (PAC), s’était promis d’ébranler l’hégémonie de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Au nom de la défense des petits contre les gros, il a mené une vigoureuse campagne contre son dirigeant, Arnaud Rousseau, qui préside le conseil d’administration du groupe Avril, tout en contestant le modèle de cogestion qui s’est établi entre l’Etat et le syndicat majoritaire.

Son objectif de gagner une dizaine de départements, tout en conservant les trois chambres où il était déjà majoritaire, le Lot-et-Garonne, la Vienne et la Haute-Vienne, a été atteint. Très présente dans le Sud-Ouest, la Coordination rurale pourrait également prendre la tête de la chambre régionale de Nouvelle-Aquitaine. Acteurs-clés, ces établissements publics conseillent et offrent des prestations aux exploitants, tout en représentant les intérêts agricoles auprès des pouvoirs publics.

Mouvement est couvé par le RN

Le dégagisme à l’œuvre se nourrit des multiples crises (viticole, arboricole, sanitaire) qui ont secoué, ces derniers mois, le monde agricole, par ailleurs gravement affecté par les effets du changement climatique. Le sentiment d’abandon éprouvé par les exploitants les plus fragiles dans les zones ou dans les activités les moins soutenues par la PAC a donné prise à une rhétorique et à des actions plus radicales que celles de la FNSEA, même si, sur de nombreux points – la contestation des normes environnementales notamment –, les deux syndicats mènent des combats identiques.

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Politiquement, le mouvement est couvé par le Rassemblement national qui, sans en être à l’origine, accompagne la Coordination rurale et tente de lui donner un débouché politique, manifestant ainsi sa volonté de faire une percée dans cette partie de l’électorat qui lui était restée jusqu’à présent hermétique.

Dans un paysage syndical chamboulé, la forteresse FNSEA tient encore. L’alliance qu’elle a constituée avec les Jeunes Agriculteurs lui a permis de conserver 80 % des départements, un résultat dont aimerait s’enorgueillir n’importe quel autre syndicat français. Il n’en demeure pas moins que ses positions s’effritent et que l’assaut ne vient pas que de la Coordination rurale. Deux départements, l’Ariège et la Haute-Garonne, ont été remportés par des listes se revendiquant asyndicales. De son côté, la Confédération paysanne, qui défend un modèle alternatif plus écologiste et plus favorable aux petites exploitations, a elle aussi tiré son épingle du jeu en prenant la tête en Ardèche, en Guyane et en Corse.

A deux semaines de l’ouverture du Salon de l’agriculture, Arnaud Rousseau aurait tort de minimiser l’effritement de son syndicat. Sa première réaction a été de se défausser sur le gouvernement en déclarant que « la colère avait prospéré sur des promesses non tenues ». S’il est vrai que le projet de loi agricole a pris du retard en raison de l’instabilité gouvernementale consécutive à la dissolution de l’Assemblée en juin 2024, la FNSEA ne peut s’exonérer d’une réflexion sur ses propres pratiques car c’est tout un système qui se trouve ébranlé.

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Le Monde

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