Lorsqu’on enseigne la méthode de l’observation ethnographique à l’université, on insiste souvent sur le fait que la vue n’est pas le seul sens qui doit être mobilisé. L’ouïe, mais aussi l’odorat, le toucher et le goût doivent ainsi être convoqués pour saisir de la façon la plus fidèle possible à quoi ressemble une scène, un lieu, un événement, une activité : décrire un après-midi passé dans un salon de thé cossu, bien chauffé, au sein duquel règne une musique douce et où le chocolat chaud que l’on consomme contraste avec la neige qui tombe au-dehors nécessite, par exemple, de mobiliser tous ses sens. Néanmoins, la vue continue à occuper le haut de ce qui constitue une forme de hiérarchie des sens, et il est courant de résumer l’ethnographie par une opération d’écriture de ce que l’on voit.
Marion Doé vient de publier un article dans la revue Genèses qui remet frontalement en cause cette hiérarchie qui peut paraître évidente. A partir d’une recherche portant sur la parentalité aveugle – le fait d’être parent tout en étant aveugle – et depuis sa propre expérience de mère aveugle, la sociologue revient non seulement sur ce à quoi la cécité fait obstacle, mais surtout ce qu’elle oblige à déployer pour ne pas renoncer à l’observation directe du social. Ce qui apparaît, de prime abord, comme une contrainte devient une source de créativité méthodologique, utile à l’ensemble des ethnographes et non uniquement à celles et ceux qui ne peuvent se contenter de leurs yeux pour observer.
Qu’observer lorsqu’on ne voit pas ? Marion Ink avait, il y a quelques années, ouvert la question dans Espaces et sociétés, depuis une position de sociologue malvoyante, dépourvue de « vision centrale ». S’attacher au « diffus », qui constitue à la fois la vision des contours et l’ensemble des autres indices sensoriels, apparaît alors comme la solution à l’absence du « précis » qui figure au centre de la vision.
Tintement des bijoux et des talons
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