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Histoires Web lundi, septembre 30
Bulletin

« J’ai commencé ma vie professionnelle en entreprise. Après mes études, j’ai été embauchée dans une boîte où, en gros, je faisais beaucoup de présentations sur PowerPoint. J’avais envie d’action, de terrain.

Je suis issue d’une communauté qui s’investit beaucoup dans le commerce. C’est souvent une histoire de famille, plusieurs générations qui travaillent ensemble. Un ami de mon père nous a parlé du projet d’ouverture d’un magasin situé près d’un monument historique, dans un quartier touristique. Cet homme, ça fait plus de quarante ans que mon père le connaît, c’était son premier partenaire commercial quand il est arrivé en France, à 20 ans. Sa famille m’a proposé de devenir dirigeante du magasin. J’ai dit oui, j’avais envie de saisir cette occasion. Pour former l’équipe, le choix familial s’est porté sur mon beau-frère, et ma sœur s’est greffée sur le projet.

Pendant un an, en 2014, nous avons travaillé d’arrache-pied. Nous sommes partis d’un local vide. Nous étions ouverts sept jours sur sept, nous faisions des journées de 8 heures à 22 heures, la tête dans le guidon. Le commerce a décollé, mais, sur le long terme, ce n’était pas tenable. Au bout d’un an, je suis tombée enceinte. Mon mari et moi avons déménagé hors de Marseille, et je me suis réorganisée : je ne venais plus sur place que deux à trois jours par semaine. Le reste du temps, j’étais en télétravail. Ma sœur et mon beau-frère, eux, continuaient à y aller tous les jours. J’étais toujours gérante, et je ne me suis pas aperçue que cette situation créait un déséquilibre, et sans doute des crispations pour eux.

« Le royaume des rumeurs et des on-dit »

Pour moi, dans le monde professionnel, quand il y a un problème, on en parle avec son manageur, on discute avec les collègues et on le règle. C’est comme ça que j’ai été formée, c’est la culture d’entreprise dont je suis issue. Mais, là, on travaillait en famille. Autant dire que cela n’a rien à voir. On ne se parle pas. C’est le royaume des rumeurs et des on-dit. S’ajoutent à cela des rancœurs anciennes entre les familles qu’on trimballe depuis cinquante ans. Bref, avec ma sœur et mon beau-frère, je vois bien que l’ambiance se tend, mais nous n’en parlons pas. Il me revient aux oreilles que l’autre famille se demande ce que je fabrique en télétravail.

Moi, j’ai mon bébé. Le rythme n’est pas évident. Ne pas pouvoir être avec lui une partie de la semaine me pèse un peu. Pendant des mois, des années, même, le climat se détériore. Les dossiers sont mal gérés parce que nous ne communiquons pas. Un dossier avec un avocat part en justice ; nous avons des conflits avec des fournisseurs. Les échanges avec ma sœur sont froids, voire hostiles. Avec le recul, je m’aperçois de mes erreurs : j’attendais des autres qu’ils fonctionnent comme moi, qu’ils partagent ma vision des choses sur l’entreprise, sans jamais leur en faire part. Je n’ai sans doute pas assez pris ma place de dirigeante. Je cherchais toujours le consensus. Avec un collègue lambda, être franc n’est pas compliqué, parce qu’il n’y a qu’un enjeu professionnel. C’est moins facile avec sa famille, parce qu’on s’imagine qu’on pourrait blesser ses proches.

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