« Inutile de chercher des mots pour tenter de décrire cet abrégé de notre catastrophe/…/ En un rectangle noir et blanc telle que nous apparaît l’antique tragédie, Picasso nous envoie notre lettre de deuil : tout ce que nous aimons va mourir. » Ainsi, dans la revue Cahiers d’art, l’écrivain Michel Leiris décrivait-il Guernica. C’était en 1937.
Aujourd’hui, comment trouver les mots pour dénoncer ce nouveau Guernica qui s’éternise sous nos yeux ? Pour condamner sans équivoque le massacre du 7-Octobre, la torture des otages, le total mépris de leurs vies et de celles des Palestiniens par le Hamas, la revanche démesurée des Israéliens sur Gaza ? Pour conjurer l’irrémédiable ? Comment aborder les affrontements en passe de déchirer à jamais le peuple juif ?
Sur le campus de l’Université hébraïque de Jérusalem, une scène m’avait jadis bouleversée. « C’est avec les tanks qu’on fait l’histoire », hurlaient des extrémistes, kippa sur la tête, narguant un groupe d’étudiants arabes qui, en silence, leur faisaient face, et dénonçaient l’usage des armes à feu contre les civils.
En Cisjordanie, j’avais encore assisté, éberluée, à l’installation des premiers colons sauvages protégés par les hélicoptères officiels. C’était en 1977. Autant de signes avant-coureurs d’une hubris en marche. Mais les tensions qui traversaient alors la société israélienne restaient encore latentes. Si je tentais de parler, j’étais maladroite. Si je me taisais, j’étais lâche. Je suis partie. C’était il y a quarante-cinq ans.
Auparavant, après la guerre des Six-Jours, en juin 1967, j’avais travaillé deux ans au kibboutz Beit Alfa, adoré l’enthousiasme des pionniers qui racontaient leurs tribulations pour échapper aux persécutions en Europe, leur attachement à la Palestine comme à une « terre de paix, dans laquelle il y aurait assez de place pour deux nations », leur engagement dans ces communautés utopiques où tant d’inégalités semblaient résolues.
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