Un à un, les leaders européens sonnent l’alarme sur la mauvaise situation économique structurelle du Vieux Continent, et plus encore sur celle de la France. A l’occasion d’un entretien mené dans les locaux du Monde, lundi 28 octobre, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE) depuis novembre 2019, évoque à son tour ce « décrochage ». Elle fustige les lourdeurs administratives européennes, le réflexe d’une régulation systématique ou encore la faiblesse du système de financement. Elle confirme par ailleurs que la baisse des taux d’intérêt va se poursuivre.
Mario Draghi, l’ancien président de la BCE, a publié un rapport alarmiste en septembre sur le décrochage économique européen. Partagez-vous ce diagnostic ?
Le décrochage de l’Europe est une réalité, celui de la France aussi. Le rapport Draghi met en avant le décrochage en termes de productivité, qui tient essentiellement au secteur de la tech. Les acteurs de la tech en Europe ou aux Etats-Unis considèrent qu’il a pris racine avec la révolution des nouvelles technologies, qui a commencé au milieu des années 1990.
La question est désormais de savoir si ce tremplin, dont les Etats-Unis ont bénéficié à partir du milieu des années 1990, va se prolonger avec l’intelligence artificielle, l’accumulation des centres de données [data centers] et l’exploitation de celles-ci. C’est cette question-là qui est fondamentale, sur laquelle il est important que les Européens se mobilisent et fournissent des efforts pour garder en Europe ces sociétés qui démarrent ici et ensuite se développent ailleurs. Il faut essayer de les garder.
Et quelle est la réponse ? Avez-vous le sentiment que ce décrochage va continuer ?
Il faut s’interroger sur les causes de ce décrochage. Le facteur énergétique est fondamental, en particulier pour les data centers. Le facteur travail joue également, avec une mobilité qui est beaucoup plus importante aux Etats-Unis. La question de la réglementation est essentielle aussi. Pour simplifier à l’excès, les Etats-Unis développent l’intelligence artificielle très rapidement, et commencent déjà à avoir un certain nombre de grands champions. Pendant ce temps-là, l’Europe non seulement n’a pas de grands champions, mais fait figure de pionnière dans la réglementation applicable à l’intelligence artificielle. Cela amène les acteurs de ce secteur d’activité à se dire : « Allons faire ça ailleurs, ce sera plus simple et nous aurons moins de barrières et de contraintes. »
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