Quelque chose ne tourne pas rond. D’inquiétants signaux donnent l’impression que nos sociétés sont au bord de l’implosion. Il faut dire que chaque jour apporte son quota d’accablement, son flot de sidération, son lot de commotions. L’actualité mortifère n’épargne aucun sujet, ni aucun front. La guerre en Ukraine et l’écrasement de Gaza, les femmes contraintes au mutisme en Afghanistan, le complotisme qui, de Washington à Moscou, gagne les plus hauts sommets de l’Etat. Mais aussi les tueries sans raison, les suicides en série, les réseaux sociaux où déferlent tant de pulsions incontrôlées et de harcèlements ciblés.

Le climat morose ne relève pas d’une confuse sensation. Des données objectives étayent le tableau d’une époque mortifère. Les guerres prolifèrent : selon un rapport de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo, paru le 11 juin, 61 conflits ont été enregistrés dans le monde en 2024, ce qui les porte à leur plus haut niveau depuis 1946. Indicateur de la désorientation psychique, les maladies mentales s’amplifient : une personne sur huit dans le monde souffre d’un trouble mental, les symptômes anxieux et dépressifs étant les plus fréquents, d’après un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, publié en 2022. La consommation et le trafic de stupéfiants explosent, l’anomie sociale s’étend, l’addiction numérique relaye obscurantisme, complotisme et haines identitaires.

En 1930, Sigmund Freud (1856-1939) faisait prudemment l’hypothèse que nos sociétés étaient devenues « névrotiques ». L’inventeur de la psychanalyse diagnostiquait que l’Occident était traversé par un Malaise dans la civilisation. Le coût psychique du renoncement aux pulsions exigé pour faire société devenait trop élevé pour les individus et créait d’immenses tensions. Selon Freud, « la question décisive pour le destin de l’espèce humaine » consistait à « savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira[it] à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement ».

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