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Histoires Web vendredi, septembre 27
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Pas de répit à l’horizon pour la metteuse en scène Elsa Granat, dont les créations s’enchaînent à un rythme intensif. Programmée à partir d’avril 2025 dans la salle Richelieu de la Comédie-Française, à Paris, avec Une Mouette, d’après Anton Tchekhov, cette artiste indomptable propose au Théâtre Gérard-Philipe (TGP), à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), une relecture shakespearienne de son cru. Depuis 2022, elle retraverse le répertoire et s’introduit dans les classiques pour y glisser son écriture de contrebande et ses questions de femme contemporaine. Dernier opus en date, son spectacle Nora, Nora, Nora ! De l’Influence des épouses sur les chefs-d’œuvre s’appuyait sur l’œuvre d’Ibsen pour traiter de l’émancipation féminine.

Dans Les Grands Sensibles ou l’éducation des barbares, elle reconstitue à marche forcée une cosmogonie familiale où se percutent les protagonistes principaux de Hamlet et de Roméo et Juliette. Soit les jeunes héros des deux drames élisabéthains qui tous, à l’exception d’Ophélie, sont flanqués de leurs (pathétiques) géniteurs : Gertrude, mère de Hamlet ; les Capulet, parents de Juliette ; Montaigu, père de Roméo. A cette tribu recomposée se greffent le frère Laurent (qui, en voulant sauver Juliette, la précipite vers la mort), une « Tatie Nounou », interprétée avec mordant par la comédienne Bernadette Le Saché, une foule de jeunes élèves du Conservatoire de musique et de danse de Saint-Denis canalisés par deux musiciens acteurs et des seniors amateur qui brandissent des pancartes où on lit : « Je n’entends rien. »

Cours du destin inversé

Il y a du monde sur le plateau. Beaucoup trop, regrette-t-on, devant les irruptions répétées des petits chanteurs, dont la présence, mal cadrée et peu justifiée, dessert le projet dramaturgique. Elsa Granat avait le désir d’explorer l’âpreté et l’ambivalence des relations parents-enfants. Or, ce projet, qui virevolte selon les aléas d’une fiction échevelée, perd de son évidence à plusieurs reprises au cours d’une représentation qui dégorge et déborde. Dommage, car sa mise en œuvre est enthousiasmante dès lors qu’elle se recentre autour des liens entre les personnages shakespeariens. Sauvés de la perdition par une narration qui inverse le cours du destin, Juliette, Roméo, Hamlet et Ophélie sont ceux qui, à la fin, prennent soin de leurs parents devenus grabataires. Les deux heures trente de la représentation auront prouvé que l’inverse, en revanche, n’a jamais eu lieu.

Entamé sur un plateau nu, fermé par un haut rideau devant lequel Mme Capulet exhale sa dépression et Gertrude supervise l’organisation d’une réception à venir, le spectacle s’achève dans une salle de rééducation. De grandes colonnades s’effondrent en blocs épars reconvertis en supports de gymnastique. Entre ces deux images, un flux de vie a pulsé, avec son flot de cavalcades verbales et de corps qui exultent ou s’abîment. Elsa Granat pille, à raison, la boîte à outils du théâtre. Vidéos, danses, chants, lumières prennent d’assaut une scénographie évolutive de tulles qui ouvrent sur divers décors. Ce rugissement du plateau est alimenté par des acteurs à l’énergie indéniable, même si tous n’ont pas le talent incisif des actrices (mention spéciale à Juliette Launay, impériale Ophélie). Les femmes, ici, ont l’ascendant. Si les conflits sont générationnels, ils opposent, en plus, les sexes entre eux.

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