Dans le petit local associatif planté dans le centre-ville de Mutsamudu, sur l’île comorienne d’Anjouan, les bras sont enfarinés et les gestes précipités, en ce 25 décembre 2024. « C’est la course contre la montre. Tout doit être prêt pour 16 heures », lâche Bacar Ghaidane, un agent de la direction régionale de la santé, en jetant un pochon de farine d’un kilo dans un sac-poubelle noir contenant deux autres sachets de riz et de sucre.

Cet homme, comme les six autres agents de l’organisme ministériel présents à ses côtés ce jour-là, s’est mis au service d’une jeune association féminine créée en avril, Solidarité femmes action. Dans ses locaux, ils confectionnent à toute vitesse 500 kits alimentaires pour venir en aide aux victimes du cyclone Chido qui a ravagé l’île voisine de Mayotte, le 14 décembre 2024.

Devant les portes vertes du local délabré, il y a du passage. Un homme soulève péniblement un sac de 15 kilos de riz de sa brouette. Un autre, négociant en fret, lunettes noires sur le nez et baskets blanches immaculées, est venu proposer des dons aux « patronnes ». Les patronnes, ce sont Falaza Badrane et Halidi Taouhida, respectivement membre fondatrice et secrétaire générale de l’association. Elles supervisent les opérations, le téléphone à la main.

Eradiquer l’épidémie de choléra

Les deux Comoriennes coordonnent l’aide alimentaire apportée par Solidarité femmes action aux victimes de Chido. Le 21 décembre 2024, elles ont envoyé 500 packs d’eau, une tonne de riz, des sardines, du sucre et du lait aux résidents de Mayotte, sur un bateau affrété par le gouvernement comorien. Des dons fournis par des opérateurs économiques comoriens faisant partie du large réseau que les deux femmes ont su tisser, au fil des années, grâce à leur métier dans le secteur du commerce.

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« Les femmes sont très actives chez nous », souligne Falaza Badrane, entrepreneuse dans l’import-export, en plus de son engagement associatif. En avril 2024, elle a participé à la fondation de Solidarité femmes action pour contribuer à l’éradication de l’épidémie de choléra, qui ravageait alors l’archipel depuis février. Dans ces trois îles où l’Etat, défaillant, n’a pas su développer les infrastructures sanitaires suffisantes, la maladie s’est vite propagée. « Il fallait boucher les trous [laissés béants par] l’Etat », explique Halidi Taouhida, cadre administrative à la chambre de commerce des Comores depuis quinze ans.

Un jour, « plusieurs Anjouanais sont décédés la même journée. Ça a choqué tout le monde. On en a parlé sur nos groupes WhatsApp, entre copines, en se disant qu’il fallait faire quelque chose », se remémore-t-elle. Quelques jours plus tard, l’association commençait ses opérations de sensibilisation des populations sur l’importance de se faire vacciner et de déclarer les malades dans les quartiers, en partenariat avec les Nations unies, le Croissant-Rouge et le ministère de la santé. L’épidémie, qui a entraîné la mort d’au moins 150 Comoriens, est sous contrôle depuis juillet 2024.

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Depuis, l’association qui s’est donné pour mission d’aider les Comoriens lors des crises, sanitaires ou sociales, qui frappent l’archipel, a grandi. Avec des antennes ouvertes à Mayotte, à La Réunion et en France métropolitaine, elle compte désormais une centaine de membres.

Distribution de kits d’aide

Le 25 décembre 2024, une douzaine de femmes membres de l’association sont regroupées sur le port de Mutsamudu. Les 450 premiers bénéficiaires des « rapatriements volontaires » organisés par la préfecture de Mayotte viennent de débarquer d’un bateau. Tee-shirts roses sur le dos, les bénévoles distribuent leurs kits aux rescapés à la mine fatiguée mais soulagée.

Des membres de l’association Solidarité femmes action distribuent de l’eau et des kits alimentaires aux personnes affectées par le cyclone Chido, au port de Mutsamudu, sur l’île comorienne d’Anjouan, le 25 décembre 2024.

Derrière elles, une dizaine d’autres femmes, vêtues pour leur part d’un tee-shirt vert, attendent de pouvoir distribuer à leur tour leurs kits d’aide contenant du riz, de l’eau, une boîte de thon et du savon. Comme leurs consœurs de Solidarité femmes action, leur association, baptisée Association des femmes actives de Mutsamudu (AFAM), est en première ligne de l’aide apportée aux victimes de Chido, depuis les Comores.

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La structure, dont la mission, large, est aussi d’aider l’Etat à faire face aux crises touchant l’archipel, est née en 2019 sur la base d’un « ras-le-bol », souligne la vice-présidente, Phouraya Fateh. « La mer et nos côtes étaient jonchées de détritus. Toute la ville était très sale, abandonnée à elle-même, sans aide de l’Etat. On s’est dit qu’on ne pouvait pas continuer à la laisser pourrir », ajoute-t-elle, en observant le ballet de rescapés du cyclone débarquer sur le port, certains avec le kit alimentaire de l’AFAM à la main.

Nettoyage des côtes

Aussi, l’association a commencé il y a cinq ans par lancer une opération de nettoyage des côtes bordant Mutsamudu, embarquant avec elle les membres d’autres structures culturelles et sportives locales, des agents de la mairie et même des gendarmes. Trois ans plus tard, l’AFAM a permis à la mairie de Mutsamudu de se doter de ses deux tout premiers camions de ramassage d’ordures, financés par les dons récoltés lors d’une collecte en ligne lancée par l’association. Une nouvelle illustration de l’importance du rôle des associations aux Comores pour pallier la défaillance de l’Etat.

Dans cette société aux traits matriarcaux – où les biens immobiliers, par exemple, se transmettent souvent de mère en fille –, les associations féminines sont aux avant-postes des réponses locales apportées dans l’urgence. « Nous sommes plus écoutées que les hommes, plus robustes aussi », sourit Phouraya Fateh. La Comorienne, également directrice d’une maternelle à Mutsamudu, ne cache pas sa fierté de voir chaque année son association s’agrandir. Celle-ci compte aujourd’hui 180 membres sur l’île d’Anjouan.

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L’AFAM est intervenue lors de la crise du Covid-19, qui a frappé l’archipel en 2020, en distribuant des kits d’hygiène dans les lieux publics et des masques. Elle était également présente lors de l’épidémie de choléra, un an plus tard, aux côtés de ses consœurs de Solidarité femmes action.

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