Francine Le Bozec était « tailleur pour hommes » près des Champs-Elysées, à Paris. « J’habillais des ministres et même le président Mitterrand. Il était gentil. Il venait toujours avec une grosse boîte de bonbons. » Elle sourit mais ne quitte pas des yeux ses dominos. A 91 ans, elle enchaîne les parties avec Elisa Keromest, 103 ans, qui gagne à tous les coups. Une petite poule blanche juchée sur un tabouret les observe en inclinant la tête. Que leur apporte leur vieillesse ? « Le plaisir d’être en vie !, répond Francine. Et puis, il y a toujours quelqu’un prêt à nous aider ici. On est bien. »

Le soir tombe. Les soignants dressent le couvert. C’est bientôt l’heure du dîner, en ce début d’octobre, à l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Kersalic, à Guingamp (Côtes-d’Armor).

Un Ehpad ? Passé l’entrée du bâtiment moderne, situé dans un quartier pauvre de la ville, l’acronyme est banni. La maison de retraite revendique le titre de « village ». Comme toute commune, elle dispose d’une « place du centre ». Ses couloirs sont appelés « rues ». On y trouve une épicerie, un « Café de la mairie », un « bureau de poste », une « factrice » : Simone Lautrou, 90 ans, résidente à l’Ehpad, est préposée à la distribution du courrier auprès des autres pensionnaires. Ils sont 72 au total. On les appelle ici des « habitants ».

Pour recréer l’atmosphère d’un chez-soi, rien n’est laissé au hasard : les soignants ne portent pas de blouse, aucun chariot de médicaments ne stationne devant les chambres. Sept chats, un chien et une poule ont droit de cité. « La vieillesse n’est pas une maladie, rappelle Geneviève Guy, la psychologue de l’établissement. Les habitants ne sont pas, à nos yeux, des personnes âgées, encore moins dépendantes. Ce sont des Homo sapiens, des êtres vivants comme vous et moi. En somme, le rôle des soignants ici est assez simple : on est des souffleurs de vie. » Dans l’odeur des crêpes servies au café, Anne-Marie Cadoudal, 92 ans, feuillette le journal : « Ici, c’est vivable », acquiescet-elle.

« On meurt moins vite ici qu’ailleurs »

A Kersalic, même les plus grabataires sont incités à rester autonomes. « On cherche ce que la personne est encore capable de faire elle-même », proclame Corinne Antoine-Guillaume, la directrice, alias Madame la maire du village de Kersalic. C’est ainsi que Georgette Potier est allée pour la première fois à la piscine à 89 ans, que Renée Le Saint, 84 ans, se souvient de sa « partie de rigolade », à l’hiver 2023, sur la piste de la patinoire.

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