
Assiégée depuis mai 2024, la ville d’El-Fasher, dans l’ouest du Soudan, a essuyé, à la fin d’août, la plus importante offensive des forces paramilitaires, décidées à s’en emparer en pilonnant une population affamée. Les Forces de soutien rapide (FSR), milice en guerre contre l’armée régulière soudanaise depuis avril 2023, ciblent ainsi la seule ville majeure de la région occidentale du Darfour qui leur échappe encore, ainsi que le camp de déplacés d’Abou Chouk, à proximité.
Des témoins, groupes de volontaires et travailleurs humanitaires, ont décrit, ces dernières semaines, une intensification de l’assaut avec des tirs d’artillerie incessants, des frappes de drones et des attaques au sol. L’Organisation des Nations unies (ONU) affirme que cette capitale de l’Etat du Darfour du Nord, où vivent 300 000 personnes, est devenue « l’épicentre de la souffrance des enfants ».
Les maladies s’y propagent, l’eau potable a disparu et les médicaments sont indisponibles pour les blessés par balle, précise à l’Agence France-Presse (AFP) Mohamed Khamis Douda, un humanitaire ayant fui, en avril, le camp de déplacés de Zamzam pour El-Fasher. Menacée de famine, la ville est aujourd’hui coupée du monde, sans aide humanitaire, sans commerce et presque sans aucune porte de sortie.
Nourriture pour animaux
S’il est quasi impossible d’y filmer la vie quotidienne, de rares images obtenues par l’AFP montrent des enfants accroupis autour d’une marmite dans une cuisine communautaire enfumée, le visage émacié. A proximité, des femmes remuent avec de longues cuillères en bois une masse de pâte brune, tandis que des familles attendent, silencieuses, les yeux creusés par la faim.
La plupart des habitants dépendent de telles cantines, des bouées de sauvetage qui disparaissent à mesure que les réserves s’épuisent. Pour survivre, des familles remplacent le millet ou sorgho, qui leur sert d’aliments de base, par de l’ombaz, de la nourriture pour animaux qui n’est pas destinée à la consommation humaine. Cette semaine, plusieurs membres d’une même famille – une mère, ses trois enfants et leurs deux grands-mères – sont morts après en avoir mangé pendant des semaines, a rapporté un groupe de volontaires.
Depuis qu’elles ont perdu, en mars, le contrôle de Khartoum, la capitale, au profit de l’armée, les FSR se sont déplacées vers l’ouest pour renforcer leur emprise sur le Darfour. Le quartier général de la police d’El-Fasher est tombé. Les combattants progressent désormais vers un complexe militaire abritant les familles des officiers de l’armée.
En seulement dix jours en août, l’ONU a fait état d’au moins 89 morts à El-Fasher et Abou Chouk, dans un contexte de crainte de violences ethniques. La chute de Zamzam en avril avait provoqué un déplacement massif de population vers El-Fasher et, plus à l’ouest, vers des villes comme Tawila. Désormais, les bombardements incessants sur le camp d’Abou Chouk font craindre un nouvel exode, si tant est que les civils puissent encore s’échapper.
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Selon Adam Essa, un responsable local joint par l’AFP, entre cinq et sept enfants meurent chaque jour à Abou Chouk. Une famine a été déclarée en 2024 dans trois camps de déplacés autour d’El-Fasher, dont Abou Chouk. L’ONU estime que près de 40 % des enfants de moins de 5 ans à El-Fasher souffrent de malnutrition aiguë ou sévère.
Fuir est impossible
La seule voie de sortie de la ville, une route accidentée de 70 kilomètres vers l’ouest, est devenue un cimetière jonché de dizaines de corps non enterrés. Selon des témoins locaux, beaucoup sont morts de faim, de soif ou de violences. Un correspondant de l’AFP à Tawila décrit des réfugiés arrivant traumatisés et épuisés, beaucoup présentant des blessures par balles subies en chemin.
Saleh Essa, fonctionnaire âgé de 42 ans, a marché trois jours jusqu’à Tawila avec sa femme après avoir « installé sa mère diabétique et ses enfants sur une charrette tirée par un âne ». Voyageant de nuit pour éviter les postes de contrôle, ils se reposaient sous les arbres pendant la journée jusqu’à ce qu’ils atteignent enfin un endroit relativement sûr. « Ici, nous sommes en sécurité, mais l’eau et la nourriture sont rares », a-t-il rapporté.
Dans le quartier d’Al-Tamabasi à El-Fasher, Ibrahim Essa, 47 ans, a tenté de fuir, en mai, avec sa famille, mais a été contraint de faire demi-tour. Aujourd’hui, leur seul refuge est un bunker de fortune creusé dans la terre derrière leur maison. « S’il y a des bombardements, nous nous y réfugions tous », confie-t-il à l’AFP.
Pour beaucoup fuir est impossible. « Nous n’avons pas d’argent », explique Halima Hashim, 37 ans, enseignante et mère de quatre enfants. « Partir est dangereux », ajoute-t-elle, rester revient à mourir à petit feu.