L’artiste camerounais Salifou Lindou à la galerie Afikaris, à Paris, le 3 septembre 2025.

Vingt-cinq ans de créations à l’acrylique, au pastel, au fusain, à l’encre, à l’argile ou à la sanguine – une famille de pigments de couleur rouge – sur des supports allant de la toile en passant par le papier, l’aluminium, le fer ou la tôle. C’est ce que propose la galerie Afikaris, à Paris, en présentant, jusqu’au 1er novembre, une rétrospective des œuvres de Salifou Lindou.

L’exposition du peintre camerounais s’intitule « Carambolage ». Une référence au billard français, également appelé billard carambole. Le jeu, prisé de l’artiste, consiste à toucher avec sa bille deux autres billes, la rouge et celle de l’adversaire, en un seul coup sur le tapis, pour gagner un point et avoir la possibilité de recommencer et de « faire une série ».

« Carambolage » aussi pour souligner « les collisions, les enchaînements, les ricochets : le regard du visiteur circule d’une œuvre à l’autre afin qu’il puisse saisir les liens, les différences et les rapprochements inattendus » entre les réalisations exposées, souligne l’artiste.

Louise Thurin, artiste également, chercheuse, consultante, autrice spécialisée dans les cultures visuelles des mondes noirs et commissaire de l’exposition, a agencé les œuvres en zigzag, de manière à « révéler l’atemporalité de la pratique de Salifou ». « On passe ainsi d’un dessin sur papier du début des années 2000 à une grande toile de 2023, sans hiérarchie. Ce dispositif met en lumière la richesse des matières, des techniques, la diversité des formats et la persistance de certains motifs comme les fleurs, les animaux ou les portraits », précise-t-elle.

« Transformer le manque en ressource »

Né en 1965 à Foumban, ville considérée comme la cité des arts du Cameroun, dans l’ouest du pays, au sein d’une grande famille musulmane de la communauté bamoun, Salifou Lindou modèle de l’argile et joue avec les couleurs dès son enfance. A l’adolescence, sa curiosité le pousse à collectionner des magazines d’art occidentaux et à visiter des musées, dont ceux de sa ville, en compagnie de son père.

A cette époque, il n’a pas d’argent pour acheter de la peinture : « J’ai eu recours à ce que je connaissais, la terre rouge [la latérite] de ma région. Je la mélangeais avec des liants pour créer mes propres pigments. C’était une manière de transformer le manque en ressource et de continuer malgré tout. »

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Puis il commence à peindre des portraits, d’abord ceux de ses grands-parents, puis de Njoya (roi des Bamouns, arrière-grand-père de l’artiste). A 18 ans, il arrive à Douala et se rapproche d’une petite communauté artistique qui organise des expositions collectives, notamment au centre culturel français.

« C’est aussi à ce moment-là que j’ai rencontré des artistes expérimentés comme Koko Komégné, dont les conseils sur l’art et la vie m’ont profondément marqué. J’ai alors pu confronter mes influences traditionnelles à d’autres pratiques artistiques [car] je suis autodidacte et c’est sans doute ce qui m’a offert une grande liberté dans ma création », se souvient-il.

  • « Social Game 8 », de Salifou Lindou (2023). Pastel, acrylique, collage et Posca sur toile (120 cm x 120 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « The Moment of Music », de Salifou Lindou (2025). Pastel sur papier monté sur toile (120 cm x 150 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Quand l’amour s’enflamme », de Salifou Lindou (2025). Collage et pastel sur papier monté sur papier (120 cm x 150 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Amazone », de Salifou Lindou (2024). Fer, aluminium acrylique et boule (21 cm x 26 cm x 23,5 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Ma’amba » (oncle), de Salifou Lindou (2024). Tôle entrelacée, métal et acrylique (30 cm x 15 cm x 15 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « La pose », de Salifou Lindou (2023). Acrylique et pyrogravure sur tôle (100 cm x 100 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Sans titre », de Salifou Lindou (2023). Pastel et fusain sur papier monté sur toile (80 cm x 80 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Histoire d’une journée », de Salifou Lindou (2013). Acrylique et gravure sur feuille d’aluminium (90 cm x 90 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Flûtiste », de Salifou Lindou (2019). Pastel sur papier (32 cm x 39 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Série des têtes », de Salifou Lindou (2015). Teinture noyer, pastel, acrylique sur papier (26 cm x 16 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Série des têtes », de Salifou Lindou (2015). Teinture noyer, pastel, acrylique sur papier (20,5 cm x 16 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Nerveux 1 », de Salifou Lindou (2014). Sanguine sur papier (40 cm x 30 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « La paysanne », de Salifou Lindou (2011). Pastel sur papier (40 cm x 30 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Vil’hasard 2 », de Salifou Lindou (2013). Collage acrylique sur tôle (40 cm x 40 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Le bibineur », de Salifou Lindou (2006). Gravure sur tôle agrafée sur bois (32 cm x 29 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Abstract Vibe », de Salifou Lindou (2006). Gravure sur tôle agrafée sur bois (20 cm x 17 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Abstract 3 », de Salifou Lindou (2005). Gravure sur tôle (30 cm x 30 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Parapluie et verre », de Salifou Lindou (2002). Acrylique et argile sur papier (25 cm x 21 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

  • « Boîte d’encre sur la table », de Salifou Lindou (2001). Acrylique et encre noire sur papier (21 cm x 19 cm). Courtesy de la galerie Afikaris et de l’artiste

Le travail de Salifou Lindou est toujours en dialogue avec la politique : « Je ne suis pas un artiste enfermé dans son atelier, coupé de la société. Au contraire, je suis attentif, à l’écoute. Quand un événement secoue le pays, cela me touche directement. Ce n’est pas toujours explicite dans mes œuvres [car] je préfère rester dans la métaphore, dans la suggestion. [Mais] j’ai besoin de réagir, de traduire ce que je ressens face à l’oppression ou aux injustices. »

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Malgré des opportunités pour quitter le Cameroun dès la fin des années 1990, comme lors de cette résidence d’un an à l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg en 2000 et 2001, l’artiste choisit de rester dans son pays : « Ma véritable source d’inspiration est ici. Ce que je raconte dans mon travail, c’est ma société, mon peuple. Je veux rester au cœur de cette réalité. »

Montrer la voie aux plus jeunes

Et la transmission est une dimension à laquelle il tient beaucoup. Dans son atelier, il accueille des étudiants qui sortent des beaux-arts avec, bien sûr, des connaissances académiques, mais sans véritable expérience professionnelle. Il se souvient que, lorsqu’il était jeune, des aînés l’ont soutenu et lui ont montré la voie. Aujourd’hui, il veut faire de même, d’autant plus que la scène artistique n’est pas très développée au Cameroun : peu de galeries et de lieux institutionnels.

Salifou Lindou explore la résistance de l’être face aux traumatismes de la vie. Gestes précis et affirmés. Légèreté des traits de couleur au pastel et à l’acrylique. En se plongeant dans l’art occidental, il ressent « une certaine approche formelle, conceptuelle ».

Mais en revisitant les traditions de sa communauté, il découvre autre chose : « Nos objets, les masques, les statuettes n’étaient pas créés pour être regardés comme de simples œuvres d’art. Ils avaient une fonction précise comme guérir, protéger, purifier la société et participaient à des rituels, à des cycles de vie. Ils n’étaient pas que des supports. »

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Les visages esquissés ou non, les fleurs – souvent des tournesols –, des bouteilles d’alcool – qui suggèrent l’abandon – jonglent entre dureté et tendresse, entre chaos et apaisement. Rencontre de contraires qui fait naître l’émotion. Et selon l’histoire à raconter, l’artiste choisit son support : « C’est comme faire une valise d’après la saison. On choisit ce qu’il convient. Si elle est sèche, on s’habille léger. Si elle est pluvieuse, on prend un parapluie et des bottes… »

Louise Thurin met en avant « la puissance de son langage plastique qui conjugue liberté formelle et rigueur dans le tressage des lignes et motifs, et sa manière de relier l’intime et le collectif. Ses portraits sont à la fois des figures psychologiques et des allégories sociales. Ses paysages urbains incarnent l’esprit d’un Cameroun cabossé, mais toujours en espérance. Beauté et fragilité se tiennent ensemble ».

Florian Azzopardi, fondateur et directeur de la galerie, connaît Salifou Lindou depuis 2018. Il souhaitait présenter des séries « oubliées » et des pièces historiques, en les faisant dialoguer avec certaines de ses plus belles créations récentes, « le tout en un ensemble chaotique mais cohérent ! » Montrant ainsi à quel point son œuvre est non linéaire, faite de rebonds, d’expérimentations, dévoilant « son extrême liberté » et « son plaisir de créer, (…) malgré des années difficiles, entre extrême précarité, marginalisation et perte de personnes très proches ».

« Carambolage », de Salifou Lindou, à la galerie Afikaris, 7 rue Notre-Dame-de-Nazareth, 75003 Paris. Jusqu’au 1er novembre.

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