Les 1 400 mélomanes du Concert Hall de Göteborg sont rivés à leur fauteuil et les 100 musiciens sont en place. La salle fait silence en ce jeudi 9 octobre, sur le coup de 19 heures, quand un homme en smoking monte sur scène et lance en anglais : « Chère Sophie, ce soir, l’Orchestre national de Suède va jouer pour vous. » Sophie, c’est la Française Sophie Ristelhueber, qui vient de remporter le prestigieux prix Hasselblad. Dotée de 181 000 euros, la récompense, qui porte le nom de l’appareil photo que les astronautes américains tenaient en main en 1969 en marchant sur la Lune, vaut un Nobel pour la photographie.
Hasselblad, emblème avec Volvo de la deuxième ville suédoise, a vu grand pour la lauréate. Trois jours de célébration avec drapeaux français dans la rue, concert, exposition au Musée des beaux-arts, conférence de presse, rencontre avec des étudiants, dîners de gala avec le maire, le gouverneur, l’ambassadeur de France… Inquiète du tralala, l’impétrante a été rassurée par une cadre d’Hasselblad : « Tant que vous ne venez pas en pyjama… »
Après Göteborg, la fête continue en France. Du 13 au 16 novembre, sous la verrière du Grand Palais, Sophie Ristelhueber est une des stars de Paris Photo, le salon marchand le plus important au monde pour l’image fixe, avec quelque 220 exposants. Dès l’entrée, le visiteur tombe sur un impressionnant mur de 40 mètres de long, où s’étire une œuvre visuelle créée sur quarante ans.
Sophie Ristelhueber, 76 ans, est coutumière de coups d’éclat quand on ne l’attend pas. Le premier survient en 1982, alors qu’elle est une quasi-inconnue, et il vaut manifeste : se rendre à Beyrouth ravagée par la guerre civile (150 000 morts), où elle oriente son appareil uniquement sur les bâtiments en ruine, une fois les soldats retirés et que la douleur reste. Elle reproduira ce protocole – le décor, pas les gens – sur d’autres lieux marqués par l’histoire récente. C’est d’abord pour cette façon de raconter les conflits qu’elle a obtenu le prix Hasselblad, à l’unanimité et sans discussion, nous a confié le président du jury, le Sud-Africain John Fleetwood : « Le jury a salué l’audace radicale de son langage visuel sur la guerre, plus poétique que documentaire. »
Il vous reste 90.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.




