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« C’est un temps qui vous est dédié. Toutes les réactions que vous allez potentiellement constater, je vous demande de les garder pour vous, pour nous, pour cet amphi. » Jean-Baptiste Bonjean du Manoir, formateur chargé de la prévention contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) à l’université de Lille, se tient debout dans l’un des immenses amphithéâtres du campus de Pont de Bois à Villeneuve-d’Ascq (Nord), face à une centaine d’étudiants en première année de licence de psychologie. Sa présentation commence, en cette fin du mois de novembre, avec un objectif affiché dès les premières diapositives : savoir repérer les violences et leurs mécanismes.

L’université de Lille a rendu cette sensibilisation obligatoire pour ses 17 000 étudiants et étudiantes de première année de licence depuis l’année dernière. Le milieu universitaire est l’un des lieux les plus à risques de violences sexistes et sexuelles, en particulier au cours des trois premiers mois suivant la rentrée. Dans son baromètre 2023 des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur, l’association Observatoire des VSS met en lumière l’échec des établissements à accueillir la parole des victimes et à les accompagner correctement sur ces questions. Le rapport, qui s’appuie sur les réponses de plus de 10 000 étudiants inscrits en 2020-2021 ou en 2021-2022, établit que plus d’un étudiant sur deux ne se sent pas réellement en sécurité dans son établissement face aux VSS et que plus de la moitié d’entre eux considèrent que leur établissement ne fait pas assez pour lutter contre ces violences.

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Diapositives et vidéos pédagogiques

La rentrée universitaire, qualifiée de « zone rouge » par l’Observatoire des VSS – qui reprend un concept américain est marquée par l’organisation de nombreux événements d’intégration mais aussi un cadre différent et de nouvelles formes de relations. Au cours de la séance de trois heures, l’intervenant fait défiler une cinquantaine de diapositives couvrant un large éventail de sujets, allant du consentement à l’emprise dans le couple, en passant par la contraception et le dépistage. Le tout ponctué par des vidéos pédagogiques illustrant les conséquences psychologiques des violences sexuelles. « C’est vraiment une prise de conscience et pour apprendre à mettre des mots », souligne Jean-Baptiste Bonjean du Manoir. Des mots comme : harcèlement moral et sexuel, agression sexuelle, viol…

La méconnaissance des étudiants à l’égard des missions pour l’égalité au sein des établissements – dont la mise en place est obligatoire depuis 2013 – est par ailleurs soulignée. C’est notamment sur cet axe que l’université de Lille cherche à agir à travers ces sensibilisations. « Normalement on est censé être la première écoute. On les aide à remettre les choses dans l’ordre puis on les oriente vers les cellules de signalement, précise Hermeline Pernoud, cheffe de projet au sein de la mission égalité de l’établissement. Mais l’un des grands freins est que la plupart des étudiants et étudiantes ne nous connaissent pas. » Souvent mobilisée en renfort lors des formations de prévention, elle fait circuler dans les rangs, cet après-midi-là, des guides de prévention contre les VSS, ainsi qu’un « violentomètre », un outil sous forme de règle graduée permettant de repérer les signes d’une relation violente.

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Placée près de la porte de sortie, Hermeline Pernoud a également étalé sur une table une sélection de brochures informatives, à la disposition des étudiants. Ceux-ci sont libres de quitter la formation si les thèmes abordés les bouleversent trop. La moitié de l’effectif initial s’éclipsera au fur et à mesure de la présentation. La cheffe de projet observe chacun de ces départs et engage la conversation avec les jeunes quittant l’amphithéâtre pour s’assurer qu’ils vont bien.

« Ne plus détourner le regard »

« On a parfois des étudiants qu’on revoit plus tard dans l’année, qui nous avaient vus en amphi et qui, sur le coup, n’ont pas eu la moindre question, remarque Hermeline Pernoud. Nous avons aussi un réseau de profs référents dans chaque filière et laboratoire de recherche. Le but est de multiplier les points de contact et de se dire que plus il y en aura, plus il y aura de personnes qui finiront par toquer à notre porte. »

Si les jeunes interviennent peu – certains étudiants révisent leur cours à l’approche des partiels, d’autres jouent sur leur ordinateur – les étudiants sont néanmoins attentifs. « C’est plutôt bien que ça soit rendu obligatoire, observe Logan Alderbonn, 19 ans. Ça peut permettre d’ouvrir les yeux à certaines personnes qui ont agressé ou subi des agressions. » L’étudiant fait partie des rares hommes présents, l’auditoire dans l’amphithéâtre étant majoritairement féminin, à l’image de la discipline, qui attire près de 80 % de filles en licence.

« Il n’y a quasiment que des filles qui sont restées jusqu’à la fin, c’est quand même un peu tabou », regrette Léna Gyre, 18 ans, qui a pour sa part « beaucoup appris ». « Ça nous montre que ça arrive partout et tout le temps et je trouve ça important d’en parler », ajoute l’étudiante.

Pour les intervenants, un tournant s’est opéré depuis #metoo. « Il y a eu un changement au niveau de l’écoute, et notamment au sein des institutions, estime Jean-Baptiste Bonjean du Manoir. Les différents #metoo ont incité ces dernières à ne plus détourner le regard, et à faire semblant de ne pas savoir. » Au terme de la séance, Hermeline Pernoud enregistrera deux nouveaux rendez-vous à la mission égalité. Depuis janvier, son bureau comptabilise une cinquantaine de prises en charge.

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