« J’en peux plus d’entendre Charles Aznavour qui engueule les enfants à l’autre bout de l’appartement ! » Si ce texto faussement excédé de Leïla Bekhti, l’épouse de Tahar Rahim, a fait sourire Grand Corps Malade lorsqu’il l’a reçu, il ne l’a pas étonné. Le coréalisateur, avec Mehdi Idir, de Monsieur Aznavour, biopic consacré à l’un des derniers monstres sacrés de la chanson française, a vu comment ­l’acteur a travaillé son rôle. Il a observé Tahar Rahim se glisser lentement dans la peau de Charles Aznavour, l’accrocher par une mimique, un mot, un regard et habiter son corps pendant plusieurs semaines, au point de ne jamais quitter la prothèse buccale qui lui déformait la lèvre inférieure.

Le comédien n’a pas imité Charles Aznavour, il ne l’a pas joué non plus : il s’est réinventé en Charles Aznavour, jusque dans sa vie de tous les jours. Au point que Gérard Davoust, l’ancien pro­ducteur du chanteur décédé en 2018, à 94 ans, et qui a passé plus de quarante années à ses côtés, a presque failli en pleurer. « Le jour où j’avais été invité, quand je suis arrivé sur le plateau, j’ai aperçu une ­silhouette dans un décor mal éclairé… Mon cœur s’est arrêté : en face de moi, j’avais Charles », raconte-t-il, encore ému.

Et dire que, à l’origine, personne n’avait pensé à Tahar Rahim pour le rôle ! Lorsqu’ils commencent leurs recherches, Grand Corps Malade, Mehdi Idir et leur producteur, Jean-Rachid Kallouche, ont à cœur de trouver des inconnus, des artistes en devenir à qui donner leur chance, comme ils l’ont fait pour leurs deux précédents longs-métrages, Patients (2016) et La Vie scolaire (2019). Le temps passe. Le début du tournage se profile et toujours personne pour incarner la star. Jean-Rachid Kallouche en discute souvent avec Tahar Rahim, dont il est très proche. L’acteur suggère des noms, des pistes : « Est-ce que tu es allé voir au Conservatoire ? » En vain.

David Bertrand, le directeur du casting du film, finit par demander : « Mais pourquoi ne proposez-vous pas à Tahar ? » L’équipe est emballée, à une exception près : Jean-Rachid Kallouche. Le producteur a bien connu Charles Aznavour – il a épousé Katia, l’une de ses deux filles – et n’en démord pas : il ne « voit pas » son beau-père lorsqu’il « regarde Tahar ». Sur l’insistance des autres, il accepte finalement d’en discuter avec son ami, qu’il rejoint un soir au restaurant. Tahar Rahim arrive des Etats-Unis, où il a tourné Madame Web, une production Marvel réalisée par S. J. Clarkson. « Ils ont pensé à toi », lance Jean-Rachid Kallouche entre deux plats. Passé la surprise, son interlocuteur se montre hésitant, d’autant plus que le gendre d’Aznavour ne fait pas mystère de ses réticences. Quelques jours plus tard, le comédien répond pourtant qu’il est partant. « Et, là, on a découvert la “méthode Tahar’’ », se souvient Grand Corps Malade.

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