
« Assassins, mafieux, dehors » : c’est autour de ce mot d’ordre que des manifestations anti-mafia à Ajaccio et Bastia ont lieu samedi après midi, une mobilisation rare sur ce sujet signe d’une tentative de la société corse de résister face aux bandes criminelles.
Outre la banderole en corse « Assassini, maffiosi, fora » (« Assassins, mafieux, dehors ») tenue par des jeunes, une autre annonce la couleur : « A maffia tomba, U silenziu dino » (la mafia tue, le silence aussi, ndlr).
Dans le cortège à Ajaccio, Lara Marcellini, 27 ans, est ainsi venue pour « montrer qu’en tant que citoyen on est motivé à lutter ». « Pour moi, personnellement, ça n’a pas d’impact la mafia, mais j’ai des proches pour qui ça en a et ça a produit des répercussions catastrophiques », ajoute la jeune femme.
« On a franchi un cap. Quand une gamine se fait tuer parce qu’elle n’est pas dans la bonne voiture (…), quand le secrétaire général d’un syndicat agricole se fait lâchement tirer dans le dos en fermant le portail de son exploitation, ce n’est plus un mafieux qui tue un autre mafieux, c’est toute la société corse qui est menacée », a expliqué à l’Agence France-Presse (AFP) Jean-Dominique Musso, président du syndicat agricole Via Campagnola, membre de la Confédération paysanne, qui s’inquiète des convoitises autour du « foncier agricole ».
Son syndicat a rejoint la coordination créée à la fin du mois de septembre, qui rassemble collectifs antimafia, syndicats et associations de défense de l’environnement. En mars, la première manifestation antimafia avait réuni entre 1 500 et 3 000 personnes. Neuf jours plus tard, Pierre Alessandri, secrétaire général de Via Campagnola, qui y avait participé, était assassiné. Dans cette petite société insulaire, ce n’est donc pas rien de descendre dans la rue sous cette bannière et rare sont ceux qui acceptent de parler du sujet à visage découvert.
« Il faut que chacun puisse apporter son soutien à ce mouvement (…) citoyen qui témoigne d’une volonté très forte de la société corse de se lever contre des pratiques criminelles qui étouffent son économie », a déclaré le procureur de Bastia, Jean-Philippe Navarre, dans une interview accordée à l’AFP-TV.
Avec 18 cas et 16 tentatives en 2024, l’île de 355 000 habitants a le triste record de France métropolitaine du nombre d’homicides rapporté à la population. Le dernier en date (le neuvième de l’année) a été commis au début de novembre à Ghisonaccia (Haute-Corse), où un homme de 46 ans a été tué sous les yeux de son enfant de 9 ans.
Vingt bandes criminelles répertoriées
La chronique judiciaire montre les difficultés de mettre hors d’état de nuire les 20 bandes criminelles insulaires répertoriées par la police.
Newsletter
« La revue du Monde »
Chaque week-end, la rédaction sélectionne les articles de la semaine qu’il ne fallait pas manquer
S’inscrire
Newsletter
« A la une »
Chaque matin, parcourez l’essentiel de l’actualité du jour avec les derniers titres du « Monde »
S’inscrire
Le Monde Ateliers
Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir
Newsletter
« A la une »
Chaque matin, parcourez l’essentiel de l’actualité du jour avec les derniers titres du « Monde »
S’inscrire
Newsletter
« La revue du Monde »
Chaque week-end, la rédaction sélectionne les articles de la semaine qu’il ne fallait pas manquer
S’inscrire
Jacques Santoni, chef présumé de la bande du Petit Bar, en est le cas le plus emblématique. Condamné en mai à treize ans de prison pour blanchiment, il n’a pas pu être incarcéré du fait de sa tétraplégie consécutive à un accident de moto en 2003.
« Il s’abrite derrière son handicap pour ne pas avoir à répondre de ses actes devant ses juges », relève le jugement. Renvoyé en 2018 et 2025 devant les assises pour son rôle supposé de « donneur d’ordres » dans les assassinats d’Antoine Nivaggioni et de l’avocat Antoine Sollacaro, il a vu ses procès reportés en attendant une éventuelle amélioration de son état de santé et occupe toujours son domicile parisien.
Pourtant, les pouvoirs publics assurent vouloir combattre cette mafia. La création d’une commission, unique en France, contre les pratiques mafieuses vient ainsi d’être votée à l’Assemblée de Corse. Elle s’ajoute à l’instauration « inédite », en juin, d’un pôle régional anticriminalité organisée (Praco) qui doit compter « 17 magistrats » d’ici à 2027 et a vu les premiers renforts arrivés en septembre. Mais les enquêtes n’avancent pas assez vite, regrettent auprès de l’AFP deux commerçants victimes d’incendies criminels successifs, qui ne souhaitent pas s’exprimer publiquement, par crainte de nouvelles attaques.
« Vu le climat de tensions et de criminalité qu’il y a en Corse, je préfère privilégier ma santé et ma vie par rapport à mon entreprise », avance l’un d’eux, annonçant, avec « dégoût », cesser son activité. L’autre s’accroche, mais demande que les victimes soient soutenues financièrement par l’Etat, « parce que, derrière nous, il y a des emplois, des impôts… des vies ».
Dans une interview accordée à l’AFP, le préfet de Corse, Eric Jalon, a annoncé, vendredi soir, « vouloir aller vers les entreprises les plus exposées (…) pour leur offrir, avec les outils existants et d’autres à inventer, un accompagnement sur mesure ». Il compte également « sensibiliser et former les agents publics », en commençant par « un premier cercle de 1 000 agents », et « renforcer l’articulation » entre administrations et justice pour « utiliser tous les moyens d’action, tant administratifs que judiciaires », dans « cette lutte contre l’emprise mafieuse ».




