Il a choisi la sombre « caverne » en sous-sol du Palais de Tokyo, plutôt que ses espaces blancs et lumineux, pour la transformer en « paysage immersif » : Pierre Bal-Blanc propose ici une expérience, plus qu’une exposition. Expert ès performances, le commissaire français, installlé en Grèce depuis une dizaine d’années, a orchestré une programmation de trois semaines, qui change chaque jour. Dans le dédale noir de l’institution, entre la fosse, l’escalier en colimaçon et la salle de cinéma devenue lieu d’immersion sonore surgissent des corps, des images, des mots, un souffle parfois.
Balkanique, conceptuel, ascétique ou volcanique, l’ensemble est aussi riche que radical : les amateurs les plus zélés de découvertes artistiques pourraient tout aussi bien camper au palais. Car Pierre Bal-Blanc y dévoile nombre de raretés, qu’il déploie dans l’espace et le temps en chef d’orchestre, comme il l’a déjà fait à la Monnaie de Bruxelles ou à la Tate Modern de Londres. Les danses des Gens d’Uterpan ou de Lenio Kaklea, les rumeurs propagées par Eva Barto ou Matthieu Saladin, les compositions et poésies des hongroises Katalin Ladik et Svetlana Maras, mais aussi Nina Canal & Nadia Lichtig, Luka Savic, Jean-Charles Massera, Marie Cool Fabio Balducci… reste une dizaine de jours pour se laisser surprendre.
« Une trentaine de performances sont orchestrées en simultanéité ou en succession, avec un programme quotidien qui varie entre actions intempestives, rendez-vous, films et œuvres qui apparaissent et disparaissent dans l’espace. Aucun visiteur ne verra la même chose », promet-il. Les sons qui sourdent des murs, l’eau qui surgit du sol, un visiteur un peu étrange qui pourrait aussi bien être performer, un son animal : il faut être attentif à chaque détail, s’attarder sur les petits riens, pour saisir le projet dans son envergure.
Dénuement, déshonneur, impudeur
Pour le nourrir, Pierre Bal-Blanc est allé puiser à deux sources qu’il connaît sur le bout des doigts : la collection du CNAP (Centre national des arts plastiques), et celle de Kontakt, à Vienne, qui s’attache à répertorier l’art méconnu de la modernité dans la Mitteleuropa, et avec qui il a souvent collaboré. « Dans ces pays de l’ancien bloc de l’Est, la performance est une stratégie qui a été très utilisée, car elle est capable de se dissoudre et d’être furtive, en résistance », précise-t-il.
Mais c’est aussi la pensée des cyniques de la Grèce antique qui l’a inspiré ici. D’où le titre de son projet : La République (cynique). « A un moment où notre République fait débat, où on n’a jamais été autant, peut-être, dans une république cynique au sens moderne, j’amène une république des cyniques anciens, qui est son exact contraire. Qui prône l’exil contre la patrie, le mélange contre la race, l’intelligence contre le sang… », décrypte-t-il. Il a découvert cette philosophie à Athènes, alors qu’il imaginait, avec une dizaine d’autres curateurs, la Documenta 14 de 2017. « Depuis, je vis cette pensée au quotidien, sur le lieu même de sa naissance, raconte cet enfant de Diogène dans un sourire. J’ai découvert en elle une proposition alternative de vie, écologique, sociale, qui fait écho au projet du président du Palais de Tokyo, Guillaume Désanges, inspiré par la permaculture. »
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